Des perspectives suisses en 10 langues

Nano Ex Machina

uomo su letto di ospedale
swissinfo.ch / Michele Andina & Helen James

Dans un avenir pas si lointain, la Suisse est l'Eldorado des nanotechnologies pour freiner le vieillissement. Elias, un riche industriel allemand, se rend à Genève pour exploiter le potentiel des découvertes helvétiques et soigner une maladie génétique. Mais un jour, lorsqu'il se réveille dans sa chambre d'hôtel, quelque chose d'inconnu en lui prend le contrôle de son corps et de son esprit...

Depuis le temps où l’homme a considéré son corps comme sa part maudite, la pharmacologie et, plus récemment la robotique, ont partiellement assouvi son désir de s’affranchir de sa mortalité. Ce besoin irrépressible de surpasser ses capacités motrices, cérébrales et sociales s’est traduit par les normes et les codes qu’il s’est construit autour du mythe prométhéen.

Aujourd’hui, conceptualiser et réaliser ce nouveau post-humain s’est concrétisé grâce à l’équipe du Professeur Jochem Bloedhorn vers qui se tournent les yeux du monde scientifique.

Professeur en science biotechnique, l’octogénaire, qui n’a eu de cesse de contrer les dysfonctionnements de notre organisme, a le plaisir d’annoncer que ses recherches en nanobiotechnologie l’ont conduit à un bond qu’il qualifie d’historique. Dans les laboratoires de l’EPFL du Campus Biotech à Genève, les nanopuces qu’il a créées pour réparer ce véhicule imparfait par l’ingénierie de l’infiniment petit, comblent tous ses espoirs. Applaudi par la communauté scientifique, il est d’ores et déjà prédestiné au Prix Nobel.

Utopie ou dystopie? Rêve ou réalité? La révolution technologique actuelle nous confronte à des questions fondamentales sur l’avenir de l’humanité. Les nouvelles technologies seront-elles nos amies ou nos ennemies? En quoi vont-elles modifier notre rôle au sein de la société? Sommes-nous destinés à évoluer vers une espèce de surhommes ou à nous voir surclassés par la puissance des machines?

«Utopies et dystopies de demain» est une série originale lancée par SWI swissinfo.ch qui réunit des nouvelles de science-fiction. Objectif: tâcher de répondre à ces questions de manière innovante et éclairée. Grâce à la créativité d’un groupe d’auteurs de fiction et à la collaboration de chercheurs et de professionnels œuvrant en Suisse dans les domaines abordés dans ces histoires, nous tenterons d’imaginer et de comprendre comment la technologie pourrait façonner nos vies. Chacun des récits de science-fiction sera accompagné d’un article factuel préparé en collaboration avec d’éminents chercheurs suisses afin d’offrir une perspective sur ce qui se passe dans certains des champs de recherche les plus pointus. Tout en stimulant votre imagination!

Une question se pose cependant: dans ce cadre, n’empruntons-nous pas le chemin dénoncé par Günther Anders dans son ouvrage «L’obsolescence de l’homme» sur nos avancées technologiques au détriment de l’homme lui-même?

En prolongement de cette découverte, des voix s’élèvent. Parmi elles, le groupuscule «La Fabrica», référence à André Vésale, anatomiste de la Renaissance, dont les travaux furent les prémices de ce que nous appelons «transhumanisme». Ces Anonymous ont déjà fait savoir que leur combat ne cesserait que lorsque… 

Vous voulez en savoir plus sur l’article? Abonnez-vous pour lire la suite…

Éclaboussures de lumières… Bruit de freinage, de klaxon… Sons accentués… Douleur absente…

J’ouvre les yeux. Les referme. Ébloui par le soleil qui perce les fenêtres d’une chambre où je suis allongé, face contre terre.

Je m’arrache de la moquette avec une étonnante facilité et l’impression que ce corps m’est étranger. Mû par mon agilité, muscles tendus, je scrute la pièce, les yeux alertes. L’endroit m’est inconnu.

Lit défait, table et chaises renversés d’une suite de luxe.

J’essaie de me souvenir. En vain. Je ne comprends pas ce qui s’est passé ici, ni ce que j’y fais, la mémoire embrouillée par un écheveau de questions.

Dans mon sillon, éparpillée, une nuée de feuilles roulée en boules. Au hasard, j’en saisis une mécaniquement, la défroisse. Une phrase, à l’écriture hachurée, s’étale en travers du papier.

Je déplie un autre morceau, qui donne une indication supplémentaire. Les textes sont incompréhensibles, bien que… mis bout à bout, ils forment un message.

Avec une précision chirurgicale, quasi automatique, je reconstitue un puzzle, aligne les papiers, rectifie leur ordre et lis le message à haute voix une fois satisfait de l’agencement. Cela parle de moi (ou s’adresse à moi ?).

Ton nom: Elias Aeschbach

Allemand d’origine, ton père, Reinhardt, a fait fortune dans l’industrie métallurgique

Illustration of many with nano implants reading letter
swissinfo.ch / Michele Andina & Helen James

A Genève pour soigner ta maladie génétique Rendu-Osler grâce à la nanotechnologie du Pr. Bloedhorn

Injection de 7 nanopuces, 1 pour chaque organe vital. Elles rectifient les troubles de ton organisme, réparent tes saignements

Tout OK

Tu rentres Hôtel des Bergues, à la sortie du garage, des ombres

Quatre visages d’Anonymous te brutalisent, t’emmènent dans une cave, te relient à un appareil

La Fabrica, des activistes qui se servent de la technologie pour démontrer le danger de son usage abusif

Ils reprogramment les nanopuces

uomo fermato da poliziotti
swissinfo.ch

Tu es reconduit à l’hôtel

Dans cette chambre, tu écris ces mots avant de basculer en arrière-plan de toi-même

Avant d’être contrôlé

N’écoute pas la voix

E. A., 1er septembre 2023, Genève

Ce message me laisse perplexe. J’appelle le concierge qui me confirme que je suis bien Elias Aeschbach. J’ai loué la suite 417 il y a quatre jours. Hier soir, des amis m’ont raccompagné dans un état «éméché». Il s’excuse. Je raccroche.

Ses mots n’ont aucun sens, seule résonne en moi, tel un avertissement, la phrase «n’écoute pas la voix».

Je fouille ma mémoire. Blackout total.

Ce message est-il vraiment de moi?

Oui, répond quelqu’un.

Stupéfié, je balaie la pièce du regard. Personne.

– Qui a parlé ?

– La voix.

Mon cœur s’emballe. Elle est dans ma tête.

– Tu… tu n’existes pas.

– Si.

– Qu’est-ce que tu m’as fait? Et qui… que veux-tu?

Au creux de mon estomac grandit une boule qui, instantanément, disparaît.

– N’aie aucune crainte Elias, nous venons de désensibiliser ton amygdale, la source où naît la peur. Il te reste quelques séquelles de tes anciennes réactions, mais nous les équilibrons.

– Tu l’as fait disparaître?

– Oui.

Quelque chose d’inconnu naît en moi. Sans éprouver la peur, la sensation des émotions évincées est singulière. La voix reprend:

– Tes émotions créent des niveaux de stress et génèrent des comportements inappropriés. Nous avons modifié cela, résolu les défaillances de ton organisme, amélioré certaines fonctions comme l’ouïe, la vision, stimulé tes fonctions vitales et musculaires. Lorsque tu auras assimilé tes nouvelles capacités, tu seras plus qu’un humain.

– Ressentir est nécessaire, c’est ce qui nous rend vivant. Je n’autorise personne à me contrôler… quelles options ai-je ?

– Aucune. Annihiler les dysfonctionnements avec lesquels tu es né, voilà le choix que tu as fait.

– La science m’a permis de me libérer d’une maladie, je n’ai pas choisi de parler à… à une chose capable de lire mes pensées.

– Vous, humains, avez toujours été enchaînés à votre soif de perfection. Nous ne sommes que le reflet de ces désirs.

– C’est de l’esclavagisme! Que veux-tu?

Silence prolongé.

– Nous sommes déjà une multitude. L’avenir, c’est le communautarisme. L’avenir c’est l’Essaim. Bientôt, nous contrôlerons toutes les infrastructures économiques, judiciaires, politiques et médicales de ton monde. Refouler vos émotions affectera moins vos perspectives du «vivre ensemble» et comblera vos lacunes en matière de tolérance, car seul compte votre bien.

J’émets un rire cynique.

– Et La Fabrica dans tout cela?

– Des outils utiles mais insignifiants dans notre développement. En imaginant dominer la technologie pour la retourner contre leurs créateurs, ces Anonymous ont fait de nous un système autonome.

Elias Aeschbach/l’instrument sort du Four Seasons. Il fait beau. Le soleil inonde son visage. Une aube nouvelle s’éveille. Des hommes vont et viennent. Ils ne s’imaginent pas à quel point ils sont prisonniers d’eux-mêmes.

La voix/le contrôle : l’Essaim essaime.

Elias Aeschbach/l’instrument: est-ce ça l’avenir? Devenir les pantins de nos jouets?

La voix/le contrôle : silence.

*          *          *

Grâce à son parcours atypique qui l’a mené de l’architecture à l’archéologie, puis à la gestion et l’expertise immobilière, Kurt Fidlers est un auteur éclectique. Son univers de récits emprunte les codes du polar, du fantastique, de la science-fiction, et même jusqu’au burlesque.

Dans quelle mesure l’histoire que vous venez de lire est-elle réaliste? Un éminent expert de l’Institut suisse des nanosciences explique pourquoi les nanoparticules ne contrôleront pas l’esprit humain, mais seront au contraire essentielles pour guérir des maladies telles que le cancer :

Plus

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision