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Günther Bächler, le pacificateur tenace

Günther Baechler lors du demi-marathon de Kazbegi, dans le Caucase géorgien. zVg

Résoudre des conflits politiques dans le monde entier: voilà le quotidien de Günther Bächler depuis des décennies. L’ancien ambassadeur de Suisse en Géorgie, médiateur chevronné, occupe depuis janvier le poste de représentant spécial de l’OSCE pour le Caucase du Sud. 

A la fin de son mandat comme ambassadeur de Suisse en Géorgie mi-2015, Günther Bächler, 63 ans, prend sa retraite. Un repos qui sera de courte durée. L’Allemagne, présidente de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) depuis début 2016, propose Günther Bächler pour le poste de représentant spécial pour le Caucase du Sud. La Suisse se montre intéressée, Günther Bächler réfléchit, et accepte la mission.

Né à Bâle, Günther Bächler y étudie l’histoire et l’histoire de l’art. Son parcours se poursuit à l’Université libre de Berlin avec un cursus en sciences politiques, histoire et relations internationales.

A partir de l’année 2000, il dirige la Fondation suisse pour la paix Swisspeace. Entre 2006 et 2007, il œuvre comme médiateur pour le Département des affaires étrangères dans le processus de paix au Népal. Il rejoint ensuite l’ambassade suisse au Soudan, comme négociateur dans le conflit du Darfour.

Entre 2010 et 2015, il occupe le poste d’ambassadeur de Suisse en Géorgie. Depuis janvier 2016, il est représentant spécial de l’OSCE pour le Caucase du Sud. 

Günther Bächler est à l’origine de plusieurs publications dans le domaine de l’analyse des conflits et de la promotion de la paix. Son dernier ouvrage, «Building Democracy», a vu le jour à la fin de son mandat comme ambassadeur en Géorgie. 

«J’ai quitté la Géorgie l’année dernière avec un œil qui pleure et un œil qui rit, raconte-t-il. Cette nouvelle fonction me donne la possibilité de maintenir mes contacts sur place. Je connais la région, ce qui constitue un précieux atout.» Et d’indiquer que sa nomination a été bien accueillie par le premier ministre géorgien.

Depuis janvier, Günther Bächler voyage beaucoup. Il a déjà bouclé un premier tour de la région et rencontré tous ceux qui participeront régulièrement aux discussions de Genève sur le conflit en Géorgie. Il connaît beaucoup d’entre eux depuis son mandat à Tbilissi comme ambassadeur de Suisse. «Le travail est intense et fatiguant, aussi physiquement. Il faut se maintenir en forme pour pouvoir tenir.»

Du Népal au Darfour

Günther Bächler fait figure de négociateur coriace, qui se démarque par son obstination et sa grande crédibilité. Il se décrit lui-même comme un homme ayant un certain sens de la justice, teinté d’impatience. «Je veux que les populations affectées par un conflit aillent mieux, et cela sans attendre que le dernier diplomate ait compris ce qu’est la paix. On ne peut pas prolonger les processus indéfiniment. Il faut esquisser des solutions de manière active et créative.»

Et Günther Bächler sait de quoi il parle. Il a œuvré comme médiateur pour le Département des affaires étrangères dans les négociations au Darfour et au Népal. C’est dans ce dernier pays qu’il a enregistré le plus grand succès de sa carrière, en parvenant à réunir les rebelles maoïstes et le gouvernement népalais à la même table. Des négociations difficiles aboutissent en 2006 à la conclusion d’un accord de paix entre les deux parties. «Cette réussite a provoqué en moi une grande joie, un sentiment de bonheur indescriptible – comme la fois où je suis parvenu au bout d’un semi-marathon dans les montagnes géorgiennes.»

Instinct et tactique

Günther Bächler a trouvé pendant ses études à Berlin ce qui devait constituer le fil rouge de sa vie: l’étude des conflits et les relations internationales. Il dirige pendant douze ans la Fondation suisse pour la paix Swisspeace, développe des modèles de prévention, des systèmes d’alerte précoce, enseigne la médiation et se trouve sur place lorsque des conflits doivent être résolus.

Günther Bächler possède manifestement le bon instinct pour avancer et le bagage théorique nécessaire pour comprendre les dynamiques des conflits. «Il faut avant tout s’impliquer auprès des gens, écouter les deux parties, créer de la confiance et rester crédible. Un médiateur doit traiter tout le monde de la même manière, mais aussi se montrer clair quant à la préservation de ses valeurs. Je ne suis pas passif, mais je ne juge pas. Mon but est d’avancer dans le traitement du conflit.»

Günther Bächler dit aussi que la Suisse parle en principe à toutes les parties qui souhaitent négocier et trouver une solution au-delà de la violence. «Cela vaut aussi pour des acteurs que certaines qualifient de terroristes, par exemple le Hamas. Mais on ne peut pas parler avec l’Etat islamique, car il ne recherche pas de solution négociée.»

Pacification grâce à l’armée

Bien qu’il considère que les conflits ne peuvent pas être réglés de manière durable par des moyens militaires, le médiateur suisse salue l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999. «Malgré les nombreuses critiques et l’absence de mandat de l’ONU, cette intervention m’a parue indiquée face aux expulsions de masse par la Serbie et comme moyen pour prévenir un génocide.»

Pour ce qui est du conflit syrien, Günther Bächler évoque un dilemme de l’Occident et dessine un sombre tableau. «Nous nous trouvons dans une situation précaire. Sur le long terme, il n’existe qu’une solution: l’ONU devrait se voir attribuer la capacité d’intervenir avec une force policière fortement équipée – une concession du Secrétariat général. Pour cela, il faut cependant des mécanismes dont nous ne disposons pas aujourd’hui.»

L’étroitesse de la Suisse

Günther Bächler admire des personnalités comme Egon Bahr, l’architecte de l’Ostpolitik allemande, ou l’ancien chancelier Willy Brandt. Mais des «démocrates suisses courageuses et droites », comme les anciennes conseillères fédérales Ruth Dreifuss et Micheline Calmy-Rey font aussi l’objet de son admiration. Ou encore l’écrivain Friedrich Dürrenmatt, qui a décrit la Suisse comme une prison dans un discours prononcé en 1990. 

Quant à l’élite intellectuelle de la Suisse, elle ne convainc guère le diplomate.  «Il n’y pas suffisamment de discours académiques qui ont une influence sur la politique. Tout est politisé et la polarisation suit son cours. Les nuances et les paroles mesurées manquent. Je trouve la manière dont les initiatives et les référendums sont mis en œuvre étrange, et m’étonne que le modèle de succès suisse soit à ce point galvaudé.»

Depuis son retour de Géorgie, Günther Bächler remarque tout particulièrement que la qualité de vie ne se mesure pas uniquement au produit intérieur brut et à la richesse. «Au contraire de la Suisse, la Géorgie est un pays très pauvre, mais qui possède de grandes qualités comme le dynamisme, l’ouverture et une riche culture.» Le Bâlois estime aussi que la judiciarisation helvétique conduit à une étroitesse qui met en jeu les libertés individuelles. «En Géorgie, j’ai vécu une très grande liberté, une situation qui découle aussi du fait que tout n’est pas réglementé.»

En tant que représentant du président actuel de l’OSCE, le ministre allemand des affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier, Günther Bächler se consacre en particulier aux conflits en Abkhazie et en Ossétie du Sud, deux régions soutenues par la Russie qui ont fait sécession de la Géorgie. Il participe quatre fois par an aux discussions de Genève sur le conflit en Géorgie et se rend dans les régions en conflit de même qu’à Tbilissi et à Moscou.

Son mandat comprend par ailleurs le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan autour de la région montagneuse du Haut-Karabakh. Il englobe également la création d’une architecture de sécurité européenne vis-à-vis de la crise ukrainienne et l’annexion de la Crimée.

Traduction de l’allemand: Sophie Gaitzsch

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