Recherche: alternatives à l’expérimentation animale
Une initiative populaire exige l’interdiction de toute expérimentation animale. Si le peuple l'acceptait, la Suisse deviendrait le premier pays à se passer entièrement de souris et autres rats de laboratoire. Même si la proposition a peu de chances d’être acceptée, les choses avancent dans ce domaine.
Le texte de l’initiativeLien externe est on ne peut plus clair et précis: «L’expérimentation animale et l’expérimentation humaine sont interdites». De même, l’importation de produits qui font l’objet «directement ou indirectement» d’expérimentation animale est interdite. À l’origine de cette initiative populaire, on trouve des associations de défense des droits des animaux qui ont déjà fait voter les citoyens suisses sur des propositions similaires par le passé.
Le rejet du Parlement a lui aussi été très clair: l’initiative n’a pas trouvé grâce aux yeux du Conseil national, ni d’ailleurs les propositions de contre-projet émanant des rangs de la gauche. Les exigences des initiants ont été jugées trop radicales par la majorité de la Chambre basse lors de la séance de printemps du Parlement qui s’est achevée cette semaine.
Les parlementaires ont longuement débattu de la souffrance des animaux, mais il n’y a eu aucun soutien pour l’inscription d’une interdiction totale des expériences sur les animaux – et les humains – dans la Constitution fédérale. La crainte d’une perte d’attractivité pour la Suisse en tant que place importante de la recherche scientifique a fait figure d’argument massue.
En dehors du Parlement, l’initiative est également jugée trop radicale par swissuniversities, la conférence des recteurs des universités suisses. «L’initiative met en péril le progrès, l’innovation et la formation dans les sciences de la vie et les biotechnologies en Suisse», souligne-t-elle.
Même l’organisation de défense des animaux la plus ancienne et la plus connue du pays, la Protection suisse des animaux (PSA), s’est exprimée contre les «exigences radicales» qui pourraient conduire à l’isolement de la Suisse en raison de l’interdiction explicite d’importer des produits susceptibles d’une manière ou d’une autre être associés à des expériences animales.
Une industrie peu transparente
Si, contre toute attente, la Suisse acceptait cette initiative, elle se trouverait dans une situation inédite. Les pays de l’Union européenne (UE) ont adopté des interdictions partielles, qui visent par exemple l’industrie cosmétique, mais aucun d’entre eux n’est allé jusqu’à édicter une interdiction totale. Une initiative similaire a bien été lancée dans l’UE: déposée en 2015, l’initiative citoyenne «Stop Vivisection»Lien externe exige la fin de toute expérimentation animale. Un objectif que s’est de toute manière fixée l’UE, mais sans avoir jusqu’à présent défini un calendrier.
Reste que, même si la Suisse interdisait complètement les expériences sur les animaux, l’impact serait marginal. Les expérimentations animales seraient simplement menées ailleurs et davantage sous-traitées. En comparaison internationale, les normes sont plutôt strictes en Suisse, comme l’explique Julika Fitzi, qui dirige le département des expérimentations animales à la PSA: «Le plus gros problème de l’externalisation des expérimentations animales est le manque de transparence».
En Suisse, les statistiques annuelles montrent combien d’animaux ont été utilisés pour quels tests. L’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires répertorie environ 570’000 tests sur des animauxLien externe en Suisse en 2019, soit une baisse de 2,5% par rapport à l’année précédente. Une grande partie des expériences a été menée dans le cadre de la recherche sur le cancer ou des maladies du système nerveux.
Il existe des statistiques similaires pour les pays de l’UE, qui sont publiées tous les deux à trois ans. Aux États-Unis et dans de nombreux autres pays, ce n’est toutefois pas le cas. Que ce soit en termes de nombre ou de degré de gravité des expériences, il n’est donc pas possible de se faire une vision précise de la pratique à l’étranger.
Par ailleurs, les sociétés pharmaceutiques sous-traitent de plus en plus l’expérimentation animale. C’est le cas aussi des sociétés suisses. Les instituts de recherche à qui l’on octroie ces mandats sont eux-mêmes souvent des entreprises multinationales qui peuvent mener les études requises dans des pays où les règles en matière de bien-être animal sont moins strictes. Ce marché est lui aussi peu transparent, souligne Julika Fitzi.
En 2019, la société zurichoise Inthera Bioscience avait fait les gros titres pour avoir passé une commande auprès d’une société allemande pour des expériences très stressantes sur les animaux, qui ont eu des conséquences catastrophiques. L’externalisation de l’expérimentation animale est également réalisée par de grandes entreprises du secteur, et a donc un effet indirect sur les statistiques suisses d’expérimentation animale.
Méthodes alternatives
Au cours du débat parlementaire, divers appels ont été lancés pour créer une base juridique afin de promouvoir davantage le principe des 3R. Celui-ci prévoit entre autres une réduction progressive des expérimentations animales et des investissements dans des méthodes de recherche alternatives. Il existe désormais de nombreuses possibilités de recherche qui peuvent être menées sans animaux ni matériel d’origine animale, affirme Julika Fitzi.
Le terme «3R» signifie Replace (remplace), Reduce (réduire) et Refine (affiner). L’objectif est de remplacer les expérimentations animales, d’utiliser globalement moins d’animaux et d’améliorer les expériences.
La pandémie de coronavirus a apporté de l’eau au moulin des chercheurs. Julika Fitzi mentionne le développement des vaccins contre la Covid-19. Généralement, le processus d’approbation prend souvent bien plus de 10 ans. Pour les vaccins anti-Covid, il a fallu moins d’un an, en raison notamment de la durée plus courte des expériences sur les animaux – et leur application plus rapide dans les études sur des sujets humains. «Bien sûr, plusieurs facteurs ont joué un rôle. Mais le développement rapide des vaccins montre que cela peut être fait avec moins d’expériences sur les animaux», relève Julika Fitzi.
Il existe actuellement peu d’initiatives qui abordent la question des expérimentations animales au niveau mondial. Les normes internationales minimales sont devenues plus strictes au cours des dernières décennies, mais les différences sont toujours importantes et le manque de transparence élevé. La pandémie de coronavirus pourrait toutefois, là aussi, donner une impulsion. Les autorités de régulation se mettent de plus en plus en réseau au niveau international, ce qui pourrait conduire à une harmonisation réglementaire.
Les États-Unis, qui connaissent certes des lois plus souples sur l’expérimentation animale, ont débloqué des ressources financières massives ces dernières années pour la recherche de formes alternatives d’expérimentations. Un cas qui pourrait être pris en exemple, estime Julika Fitzi.
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