L’ONU veut utiliser l’aide comme levier auprès des talibans

(Keystone-ATS) L’ONU est satisfaite de la réunion ministérielle de Genève qui a attiré des promesses de dons. Le secrétaire général veut utiliser l’aide comme levier auprès des talibans pour des avancées sur les droits humains. La menace d’un crash de l’économie est « sérieuse ».
Dès le début de la réunion de lundi, Antonio Guterres avait donné le ton. L’Afghanistan est « peut-être confronté à son heure la plus précaire », a-t-il affirmé. L’ONU et ses partenaires ont besoin d’un peu plus de 600 millions de dollars (plus de 553 millions de francs) pour aider près de 11 millions d’Afghans jusqu’à la fin de l’année.
Parmi près de 100 pays à la réunion, dont quelques ministres en salle, plus d’un milliard de dollars ont été promis. Mais comme cette rencontre n’était pas une conférence de donateurs, il est impossible de dissocier les nouvelles enveloppes des montants déjà annoncés, a dit M. Guterres.
Pour la Suisse, le conseiller fédéral Ignazio Cassis a répété la rallonge de 33 millions de francs décidée la semaine dernière par le Conseil fédéral. Il faut « une intervention humanitaire rapide », a-t-il insisté.
20 millions débloqués
M. Guterres a annoncé le déblocage de 20 millions de dollars d’urgence. Selon l’ONU, 97% de la population pourrait être exposée à la pauvreté dans les prochains mois. Au total, 93% n’a pas suffisamment mangé depuis l’arrivée des talibans à Kaboul il y a moins d’un mois. Beaucoup pourraient manquer de nourriture fin septembre.
Au-delà du montant récolté, le secrétaire général a dit à la presse l’importance de ne pas conditionner l’aide à des avancées politiques et sur les droits humains. Une inquiétude qui avait été relayée dans l’après-midi par le président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) Peter Maurer et, récemment, par un responsable onusien.
Après avoir reçu des lettres des talibans qui lui donnent des garanties mais demandent aussi désormais un soutien économique pour le pays, M. Guterres se veut offensif. « Si nous voulons protéger les droits humains, avançons avec l’assistance humanitaire » qui peut constituer un « levier », a-t-il insisté.
Dans la matinée à Genève, devant le Conseil des droits de l’homme, la Haute commissaire aux droits de l’homme Michelle Bachelet avait dénoncé les « contradictions » des talibans. Sur les représailles contre des collaborateurs de l’ancienne administration, sur la situation des femmes, sur des attaques contre les ONG, elle a fait part de son inquiétude.
Malgré les lettres reçues, pas question pour M. Guterres d’annoncer une visite en Afghanistan après celles de son chef des affaires humanitaires Martin Griffiths et celle du Haut commissaire pour les réfugiés Filippo Grandi. « C’est quelque chose qui devra être décidé au bon moment et dans les bonnes conditions ». La question d’un délistage des talibans comme organisation terroriste est elle de la compétence des Etats membres.
Aide déjà distribuée
Selon M. Guterres, il faut aussi penser déjà au développement à plus long terme, étant donné la menace « sérieuse » d’un effondrement de l’économie du pays. Or le chef de la diplomatie allemande Heiko Maas, également présent à Genève, a notamment affirmé que son pays réfléchirait à plus long terme à aider le pays en fonction des actes des talibans. La Grande-Bretagne a exclu de donner de l’argent directement aux autorités de l’Etat islamique.
M. Guterres appelle à être prudent sur les attentes. « Nous n’allons pas changer l’Afghanistan en un pays comme la Suisse », a-t-il affirmé. Après le départ des troupes américaines, le rôle de l’ONU sera lui aussi limité. Il est inconsidéré de penser que les Nations Unies pourront décider de l’action du gouvernement, alors que des « centaines de milliers de soldats » n’ont pas réussi à le faire, affirme le secrétaire général.
Autre préoccupation parmi les ministres, la sécurité du personnel humanitaire. Les talibans promettent aussi dans leur lettre de protéger celui-ci. Les menaces existent mais les opportunités pour l’aide sont « peut-être » plus élevées qu’avant leur arrivée, a également estimé depuis Kaboul M. Grandi.
Depuis une dizaine de jours, de premiers vols humanitaires ont pu livrer des médicaments et de la nourriture. Lundi, un nouvel avion affrété par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a pu acheminer plus de 20 tonnes d’aide à Kaboul. Et un premier appareil commercial en provenance du Pakistan a atterri le même jour en Afghanistan.