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En manque d’effectifs, la police sort de sa réserve

Il manque 1500 policières et policiers en Suisse pour le seul travail quotidien, selon la Fédération suisse des fonctionnaires de police (FSFP). Keystone

A peine les policiers zurichois ont-ils, cette semaine, levé leur grève des amendes, que les vaudois prennent le relais pour dénoncer le manque d’effectifs: les gardiens de l’ordre suisses n’en peuvent plus d’attendre des renforts.

La grève n’est pas exactement une spécialité helvétique et, lorsqu’elle vient des corps de police, représentants de l’Etat par excellence, elle frappe les esprits plus que toute autre. Cela n’a pas manqué à Zurich, où la police municipale a décidé en avril de ne plus mettre d’amendes d’ordre, pour protester contre le manque de repos et les sous-effectifs chroniques.

Ces dernières années, les Genevois et les Vaudois avaient déjà pratiqué l’exercice. A Zurich, c’était une première. Qui a eu de l’effet: un accord a été conclu cette semaine avec la Ville. Dans le canton de Vaud en revanche, policières et policiers ont manifesté mercredi et annoncé des «actions plus incisives» pour le mois d’août.

Le canton de Genève n’est pas en reste: un projet de réorganisation présenté jeudi insiste sur la «nécessité de renforcer la police de proximité, de clarifier les missions et d’assurer des effectifs suffisants», selon le communiqué du canton.

3000 policiers manquent

«Nous soutenons le principe de la protestation, déclare Max Hofmann, secrétaire général de la Fédération suisse des fonctionnaires de police (FSFP), même si nous n’avons pas à approuver la forme concrète des mesures de lutte. Nous sommes à la limite de nos forces. Des actions un peu plus fortes pourraient contribuer à faire bouger les choses.»

«Dans une société vivant 24 heures sur 24, avec ses événements sportifs tels que les matchs de football et des supporters parfois violents qui réclament toutes les forces de police le week-end, la police est réellement surchargée et a besoin de renforts, a admis le Municipal zurichois en charge de la police Daniel Leupi (Vert) devant la presse. J’espère qu’à l’automne, le Parlement de la ville acceptera, enfin, les postes supplémentaires demandés.»

«La même chose s’est passée à Berne, rappelle Max Hofmann. De nouveaux postes avaient été décidés, puis rejetés. Cela fait des années que nous manquons d’environ 3000 policiers en Suisse, et rien n’a encore changé.»

Des policiers bien formés

Connu pour avoir été le premier délégué aux réfugiés du Conseil fédéral (gouvernement), le conseiller en développement stratégique Peter Arbenz est également convaincu qu’il est «absolument urgent» de créer de renforcer les rangs de la police.

Mandaté par la Municipalité de Zurich pour conduire, avec succès, une table ronde avec le syndicat de police, il souligne que «les partis politiques ont tendance à se profiler sur le dos des employés de l’Etat, dont elle ne respecte pas les services et les mérites.»

«La police souffre d’un manque de reconnaissance, ajoute Peter Arbenz. Pourtant, les policiers sont aujourd’hui très bien formés, ils ont une maturité et un autre métier avant de devenir policier.»

Des critères de recrutement décalés

Expert intervenant dans les formations de policiers cantonaux et municipaux suisses, Frédéric Maillard, co-auteur, avec Yves Delachaux, de l’ouvrage «Policier, gardien de la paix?» (Edition de L’Hèbe) confirme: «Oui, il y a un malaise, qui ronge l’intérieur de la profession. Dans le cadre de mes analyses de pratique, j’ai rencontré 900 policiers suisses. La majorité d’entre eux se sentent trompés.»

Selon Frédéric Maillard, «le problème est que le recrutement se base essentiellement sur des critères de performance ou de dextérité physique. Après leur année de formation et deux années d’intégration de base, les policiers se retrouvent confrontés à des situations où il leur faut résister à des pressions culturelles et faire preuve de capacité d’analyse qu’ils n’ont pas forcément. Ils sont en décalage avec la réalité.»

Pour Frédéric Maillard, «les problèmes des sous-effectifs et d’heures supplémentaires sont réels, mais la police reste privilégiée en Suisse, en comparaison internationale». Max Hofmann, de la FSFP, n’est pas d’accord. «Dans les classements portant sur le nombre de policiers par habitant, la Suisse est dans la bas du tableau».

A Zurich, l’accord de la table ronde ayant mis un terme définitif à la grève des amendes lancée en avril prévoit notamment la création d’une commission paritaire chargée de réduire la charge de travail. Le travail administratif devrait suivre le principe «autant que nécessaire, aussi peu que possible». «Même sans résultats significatifs, cet accord un pas dans la bonne direction», commente Max Hofmann.

Ouvrir la profession… au social!

Nécessaire mais décriée, la police est, selon Frédéric Maillard, «véritablement au cœur des changements sociaux». Or, poursuit-il, au fil du temps, elle s’était isolée en adoptant une attitude trop militaire. Les corps de police n’ont laissé entrer d’autres disciplines – sociologie, philosophie, criminologie – que très récemment. Il m’arrive encore d’entendre des policiers s’exclamer qu’ils ne sont pas là pour faire du social…»

La question du recrutement reste lancinante et les différents corps de police doivent régulièrement mener campagne. Les affiches montrant de jeunes gens souriants et dynamiques, au service de la population, fleurissent dans de nombreux cantons.

Le salaire est pourtant «globalement assez correct, indique Max Hofmann. Mais lorsque vous travaillez 3 week-ends par mois, vous vous demandez si votre rémunération est encore adéquate, surtout lorsque vous risquez de ne pas pouvoir récupérer vos heures supplémentaires.»

Certains cantons ont ouvert la formation aux étrangers détenteurs d’un permis C. Mais ils doivent se faire naturaliser avant l’assermentation. Quant à la proportion de femmes dans la police, «elle est faible, en comparaison internationale, souligne Max Hofmann. Elle stagne à 11-15%.» Or, selon Frédéric Maillard, «des études ont constaté que les patrouilles mixtes obtiennent de meilleurs résultats.»

«Il est important, conclut-il, d’ouvrir la profession à des gens de tous horizons et de tous âges. Le policier joue un rôle très important: il est le dernier à pouvoir faire quelque chose quand tous les acteurs sociaux ont échoué.»

La Fédération suisse des fonctionnaires de police (FSFP) compte 23’000 membres.

Selon elle, il manque 1500 policières et policiers en Suisse pour le seul travail quotidien. Et il en faudrait 1500 autres pour avoir une réserve suffisante lors d’événements sportifs, de manifestations ou pour des tâches spéciales, selon Max Hofmann, secrétaire général de la FSFP.

Le syndicat dénonce aussi «la montagne d’heures supplémentaires, qui a depuis longtemps dépassée le million d’heures, ce qui équivaut de fait à un sous-effectif de plus de 2000 employés de police.»

Les attaques verbales et la violence exercée contre la police sont un autre problème lancinant, selon la FSFP: «En 2009, sur 16’000 policières et policiers engagés chaque jour, 6,5 ont été victimes de violences et de menaces, en moyenne quotidienne, et cette tendance est en forte augmentation», dénonce la fédération.

Le brevet fédéral de policier a été créé en mai 2003, après treize ans de «combat», rappelle Max Hofmann de la FSFP.

La Conférence des chefs de département de justice et police (CCDJP) a ensuite, au printemps 2004, adopté un concept de formation globale. Elle permet d’unifier les plans de formation des divers corps de police de Suisse.

La formation, d’une durée d’une année, repose sur quatre modules: intervention policière, éthique et droits de l’homme, police de proximité, psychologie policière.

Aujourd’hui, le niveau «policier 2», destiné aux cadres inférieurs, est sanctionné par un diplôme fédéral. Deux autres niveaux d’étude, jusqu’au commandement élevé, de type académique, sont en préparation.

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