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Peter Gabriel, la beauté de l’impossible

Peter Gabriel, artiste entier... Keystone

Dimanche soir, le «New Blood Tour» de Peter Gabriel et ses 52 musiciens a connu son lancement automnal dans les arènes deux fois millénaires ou presque d’Avenches. Quoi, de la pop symphonique? Non… un morceau de perfection.

«Je joue encore une chanson, puis la soirée va se poursuivre avec quelque chose que vous n’oublierez pas de votre vie», dit la jeune chanteuse norvégienne Ane Brun, seule avec sa guitare, au public qui emplit l’amphithéâtre romain d’Avenches. Ane Brun que, quelques minutes plus tôt, Peter Gabriel est venu annoncer lui-même, tranquillement, oubliant, comme d’habitude son statut de star.

Dans les arènes, une infrastructure technique que nos ancêtres les Romains auraient adoré avoir à disposition pour leurs prouesses circo-théâtrales. Une scène de 26 mètres de large sur 20 de haut, 23 tonnes de matériel suspendu, nous dit-on.

Vingt heures. Grâce aux gros nuages menaçants, l’obscurité est presque là. Derrière un écran vidéo géant, un ‘mur de led’ pas totalement opaque, on entrevoit les 52 musiciens du «New Blood Orchestra». Les premières notes de «Heroes», de David Bowie, s’élèvent…

Scratch My Back

La nouvelle tournée de Peter Gabriel a été amorcée au printemps dernier dans quelques mégalopoles (Paris, Berlin, Londres, Montréal, New York, Los Angeles), histoire de lancer le moteur promotionnel. Et la voici qui redémarre cet automne à Avenches, avant de filer dans plusieurs pays européens et de faire à nouveau escale en Suisse (Zurich, Hallenstadion 29 septembre).

Un «New Blood Tour» consécutif à l’album «Scratch My Back» – décidément, Peter Gabriel aime les métaphores physiologiques.

Rappel du principe du disque, constitué de douze reprises: je t’emprunte une chanson, et tu m’en emprunteras une. Autrement dit, «scratch my back» : je te gratte le dos, à toi de me le gratter ensuite. Même Bowie a fini par en accepter le principe… Quant au concept musical, il est apparemment simple: pas de batterie, pas de guitare! Mais un orchestre symphonique.

Pas de guitare, passe encore chez Peter Gabriel, mais pas de batterie chez l’homme qui a fait jouer à Manu Katché les rythmiques les plus plombées de son parcours? Cherchez l’erreur! Mais voilà… Peter Gabriel est l’homme des défis étonnants, des essais étranges, de l’inventivité permanente.

Qu’il s’agisse de se déguiser en fleur (Genesis, «Supper’s Ready»), de signer un opéra rock surréaliste (Genesis, «The Lamb Lies Down On Broadway»), ou de recréer la notion d’espace scénique (la tournée «Secret World»). Qu’il s’agisse de donner corps à la notion de village global à travers un label («Real World») ou d’amorcer de nouveaux outils humanitaires (l’organisation Witness)…

Bonheur du live

«New Blood Tour»… Un spectacle en deux parties, comme l’explique Peter Gabriel, en français – il s’exprimera d’ailleurs dans la langue de Molière pendant toute la soirée, en lisant ses textes consciencieusement préparés. Une première partie consacrée à l’intégralité de l’album «Scratch My Back», du premier au dernier titre. Puis une deuxième partie consacrée à ses anciens titres réarrangés.

«Scratch My Back», donc. Le disque ne vous avait qu’à moitié convaincu? Moi de même. Mais voilà. En live, les choses prennent une autre dimension. Après «Heroes» vient «The Boy In The Bubble», de Paul Simon, tout en retenue. Puis le travail répétitif et lancinant des cordes sur «Mirrorball», extraordinaire tapis pour la voix de Peter Gabriel, qui passe du murmure aux envolées vocales à la limite du cri primal.

La voix granuleuse de l’ex-chanteur de Genesis est un phénomène en soi, on le savait. Mais jamais elle n’a autant été mise en valeur que par ce contexte orchestral nouveau, qui lui permet la tempête symphonique comme les accalmies les plus extrêmes. Même dans les moments les plus fragiles, on n’entend pas un bruit dans les arènes, sinon celui du vent qui secoue la superstructure de la scène…

Si les reprises de «Scratch My Back» accusent une ou deux longueurs, les moments de beauté étincèlent: «Flume» (Bon Iver), «My Body Is A Cage» (Arcade Fire), «Après moi» (Regina Spektor), où alternent les réponses entre Peter Gabriel et ses deux choristes: la blonde Ane Brun, entendue en ouverture, et la brune Melanie Gabriel, fille de qui vous savez.

Relecture

Jusque là, pas ou peu de surprise, sinon celle de l’ampleur sonore, pour qui a écouté le dernier album de Peter Gabriel. Mais c’est évidemment au cours de la deuxième moitié du spectacle que le choc va survenir. A quoi peut ressembler une telle relecture orchestrale des titres de Peter Gabriel? La réponse arrive immédiatement avec le mystique «San Jacinto»: pari gagné. Pas de meringue symphonique, pas de chantilly violonesque, non, une réécriture intelligente qui ne trahit jamais l’œuvre, respectant son amplitude, ses creux et ses sommets.

Parfois, on reste relativement proche de l’original, ainsi avec le tranquille et beau «Mercy Street». Parfois, il s’agit de traduire de façon orchestrale des choses apparemment intraduisibles: les saccades technoïsantes de «Digging In The Dirt», la violence de «Red Rain» ou les avalanches rythmiques de «The Rythm Of The Heat»… Dans ce voyage africain, c’est une pulsion tendue d’abord, puis des pizzicati sauvages, le claquement furieux des archets sur les cordes en lieu et place des peaux des percussions. Et la chanson tient néanmoins.

De nombreux artistes se paient le caprice d’un orchestre symphonique pour ajouter une couche pompeuse à leurs arrangements. Le jusqu’au-boutiste Peter Gabriel lui, fait, avec rigueur, le grand ménage. Et à travers les incroyables arrangements de John Metcalfe, présent sur scène, et sous la baguette du jeune chef Ben Foster, soudain, un orchestre symphonique balance…

Alors qu’au cours de la première partie du spectacle les murs lumineux déclinaient leur chorégraphie d’images en rouge, noir et blanc, au fil des anciennes chansons, les autres couleurs s’invitent, bleu, violet, ocre, et un déluge d’images. Et «Solsbury Hill», en guise de final, verra Peter Gabriel quitter le hiératisme qui aura été le sien jusque là pour nous rappeler un instant l’arpenteur de scène qu’il fut.

En rappel, «In Your Eyes» et le magnifique «Don’t Give Up», avec Ane Brun pour donner la réplique au chanteur. L’instrumental «The Nest That Sailed The Sky», tiré de «OvO», étirera un instant encore le concert dans cette nuit de septembre…

Un peu plus tôt, entre deux morceaux, alors que les applaudissements étaient retombés, une voix s’était élevée du public: «Merci monsieur», avait-elle crié, suscitant de nouveaux applaudissements. On ne peut mieux dire.

Londres. Peter Gabriel est né le 13 février 1950 à Londres.

Genesis. Il s’est fait connaître au début des années 70 en tant que figure de proue du groupe Genesis, formation qu’il quitte en 1975 après la tournée de «The Lamb lies down on Broadway».

Solo. Dès cette date, il entame un parcours solo qui se traduira par des albums éminemment inventifs. En termes de succès, il atteint le sommet de sa popularité en 1986 avec «So», qui contient le tube «Sledgehammer».

Real World. A côté de sa carrière personnelle, Peter Gabriel a énormément travaillé en tant que découvreur d’artistes du monde entier, à travers son label «Real World» et le vaste studio qu’il a créé dans le sud-ouest de l’Angleterre, près de Bath.

Witness. En 1998, il a mis sur pied l’organisation Witness, dont le but est de fournir des archives vidéo sur les atteintes aux droits de l’homme. C’est en tant que représentant de cette ONG qu’il s’est parfois rendu au Forum économique de Davos.

Paix. En 2006, Peter Gabriel interpréte «Imagine» de John Lennon lors de la cérémonie d’ouverture des JO d’hiver à Turin. La même année, il est désigné «Homme de la paix 2006» lors d’un sommet de lauréats des Prix Nobel.

Scratch My Back. Alors que son dernier album, «Us», remonte à 2002, Peter Gabriel sort en février 2010 un album de reprises, construit sur un concept pour le moins original: «Scratch My Back», son 8e album en studio.

New Blood Tour. Le spectacle a été présenté quelques fois au printemps dernier (Paris, Berlin, Londres, Montréal, New York, Los Angeles) en guise de promotion.

La tournée de cet automne commence à Avenches.

Autre date prévue en Suisse: 29 septembre au Hallenstadion de Zurich.

2e Siècle. L’amphithéâtre a été érigé au début du 2e siècle après JC, agrandi et muni de gradins de pierre à la fin du même siècle.

Carrière. Désaffecté dès le 4ème siècle, il a ensuite été exploité comme source de matériaux.

Tour. C’est au 11e siècle que l’évêque de Lausanne fait élever la tour forte qui abrite aujourd’hui le musée romain.

Festivals. Il sert chaque année de décor au festival «Rock oz’Arènes» ainsi qu’au Festival d’opéra d’Avenches.

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