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Sexe, sang et… solitude

Rolf Kesselring, «plus solitaire et autiste que jamais». Vraiment? swissinfo.ch

L’écrivain romand Rolf Kesselring, qui vit dans le Sud de la France, publie un gros roman intitulé «Piège»… Une histoire de caillasse et de chaleur, de désir et de haine. Le récit de la solitude et de l’incommunicabilité, aussi.

Etes-vous déjà tombé raide dingue d’un lieu? Raide dingue au sens d’amoureux, de fasciné, d’irrémédiablement attiré? Avec cette impression bizarre de connaître cet endroit que vous n’avez pourtant jamais vu, et que cet endroit vous parle…

C’est ce qui arrive à Félix, un Parisien fissuré par l’amour et la jalousie, qui, sur un coup de rogne, abandonne son restaurant, sa célébrité, sa femme Gillian, et met le cap au Sud. En Catalogne, il va se cogner à «Can Cargol», soit la «Campagne de l’Escargot», un vaste domaine de pierres et de ronces, de chaleur et d’obscurité.

Destins croisés

L’avenir de Félix se jouera là, dans cette «massia», il le sait très vite. L’endroit l’appelle. Comme l’appelle Nuria, la mystérieuse héritière des lieux, qui a tant besoin d’amour.

Comme l’appellent aussi des voix bien plus lointaines. Car, dans le temps, il s’est passé des choses étranges, des choses sanglantes, à «Can Cargol». Et ces choses filtrent à travers les murs, pénètrent dans l’âme de Félix. L’un des murs ne porte-t-il pas la trace du sang de Rosita, la grand-mère de Nuria?

C’est d’ailleurs deux récits que l’on suit. Chronologiquement, la dérive de Félix. Et, en remontant le temps, le drame qui s’est noué, dans la première moitié des années trente, entre Rosita et son jeune époux.

Humeurs et humeur

Ce gros roman de Rolf Kesselring ruisselle d’humeurs, au sens ancien du mot. Il y a de la sueur, car il fait chaud en Catalogne. Il y a du sang, car un crime a eu lieu un jour à «Can Cargol».

Il y a aussi du sperme et de très sexuelles moiteurs, car dans «Piège», on se prend, on s’avale, on s’absorbe l’un l’autre, non sans une certaine frénésie. Rolf Kesselring, en la matière, n’est pas avare de descriptions.

«La vie est faite de coups de chaleur, de crises malignes de fièvres, de passions retenues qui explosent et ravagent les humains», commente à ce propos l’écrivain. Effectivement, les ébats qui ont lieu à «Can Cargol» ou dans l’hôtel du village voisin ont quelque chose de paroxystique et de désespéré. Voire de suicidaire: plutôt que de partager avec l’autre, on se noie dans l’autre.

Et cela parce que l’humain est foncièrement seul. Que l’incommunicabilité est profonde, totale, entre un homme et une femme. Dans «Piège», le mâle est rêveur et naïf. La femelle cruelle et forte.

Félix se fracassera le cœur contre Nuria comme il s’est fracassé l’âme contre Gillian. Comme un autre homme, soixante ans plus tôt, s’est fracassé le cœur et l’âme contre Rosita.

Dans «Piège», il y a les humeurs des corps, qui tachent le sol et les draps, et l’humeur de l’homme, un peu plus sombre chaque jour. Car de ces femmes, qui le rendent fou de désir, il ne pénètre jamais que la chair.

«Un aveu? Je n’ai jamais dit ‘je t’aime’ aux femmes qui m’ont fait vivre. C’est pourquoi, désormais je vis seul et vole, de temps à autre, quelques secondes d’éternité, de complicité avec des amies. Plus solitaire et autiste que jamais», confie l’auteur (lire «Rolf Kesselring, arpenteur d’existence»).

L’œil vif

Car dans «Piège», l’auteur n’a pas hésité à plonger une bonne part de lui-même. Ce livre, il a commencé à l’écrire il y a une quinzaine d’années. C’est donc sinon le livre d’une vie, celui d’une sacrée tranche de vie.

Et puis les ‘massias’, il connaît. «Can Cargol existe! C’est une massia étrange, proche d’une autre – celle que je décris dans le roman, où j’ai vécu, et qui se nommait Can Teixidor, soit la ‘Campagne de l’Araignée’», dit Kesselring.

Il sait aussi les fuites en avant. Après avoir été le big boss des librairies et des éditions ‘La Marge’, il avait filé à Paris, puis, quelques années plus tard, écœuré, déçu par le monde entier – sauf son chien – il avait mis, lui aussi, le cap au Sud.

Aujourd’hui, il vit en Ardèche. «Plus solitaire et autiste que jamais», dit-il. Ce qui n’est pas faux. Sans être vrai pour autant. Car, alors que Félix, son personnage, se fait étouffer progressivement par sa ‘massia’ catalane, Rolf Kesselring, dans un ancien couvent devenu laïc, garde le rire tonitruant et la colère fulminante.

L’œil vif, aussi: «L’amour rend aveugle, dit-on? Ce n’est pas vrai! Je suis de plus en plus clairvoyant à force d’âge et d’expérience; mais aussi de plus en plus amoureux et de toutes les Rosita, de toutes les Nuria, de toutes les Gillian, de toutes les jeunes ou de toutes les vieilles… et cela ne date pas d’hier!», dit-il.

swissinfo, Bernard Léchot

«Piège», roman de Rolf Kesselring, est publié aux Editions de l’Aire.
Quelques autres publications: La 4e Classe (Ed. Favre, 1985), Putain d’amour (Ed. Favre, 1986), La lettre à Mathieu (Ed. Campiche 1991), Allez Tapie (Ed. de Magrie, 1994), et plusieurs ouvrages sur l’ésotérisme (Ed. Credel).

– Rolf Kesselring est né en 1941 à Martigny. Ecole Normale à Lausanne, puis maison de redressement et pénitencier… une dérive à lire dans «La quatrième classe».

– Années 70 et 80: librairies et édition La Marge. Kesselring publie des gens comme Gilles Vigneault, Roland Topor, Fernando Arrabal, Milo Manara, Hugo Pratt.

– 1990: A Paris, il crée les Editions de Magrie. Puis part dans le Sud de la France, où, entre fiction et journalisme, il vit de l’écriture.

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