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Roger de Weck: l’économie a payé le prix fort

En refusant l'entrée dans l'EEE, le peuple suisse n'a pas rendu un bon service à l'économie. La stagnation actuelle n'est en effet pas étrangère à cette décision.

C’est en tout cas l’avis de Roger de Weck, éditorialiste reconnu et europhile convaincu.

Les conséquences de la non-entrée de la Suisse dans l’Espace économique européen (EEE) ne pourront être analysées qu’à long terme. Cependant, il devient peu à peu clair que les désavantages l’emportent sur les avantages, estime Roger de Weck.

«Nous avons l’un des taux de croissance les plus faibles d’Europe, constate l’éditorialiste. Or il est clair qu’une entrée dans l’EEE nous aurait permis d’adapter nos structures beaucoup plus rapidement.»

En panne de managers

Roger de Weck est par ailleurs convaincu que la faillite de l’ancienne Swissair est à mettre en rapport avec le refus de l’EEE. «Pas seulement, mais au moins en partie», précise-t-il.

Certes, les destins d’entreprises en vue comme Swissair, Bally ou Mövenpick n’auraient peut-être pas été différents si la Suisse avait rejoint l’EEE. Mais les conditions de base n’auraient pas été les mêmes.

«En cas de oui à l’EEE, des managers européens seraient venus depuis longtemps en Suisse, estime Roger de Weck. Or, la Suisse a grand besoin d’eux, car le nombre de managers helvétiques de bon niveau n’est pas élevé.»

Depuis quelques années, de nombreuses entreprises suisses ont donc été mal gérées. Par ailleurs, l’adhésion à l’EEE aurait permis de renforcer la concurrence dans certains secteurs.

Pas de marge de manœuvre

Mais, les désavantages découlant du 6 décembre 1992 ne sont pas seulement économiques. Ils sont aussi politiques.

C’est notamment le cas dans les relations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne. Actuellement, la Suisse n’a plus de cartes à jouer sur la table des négociations avec Bruxelles, estime Roger de Weck.

La Suisse paye son isolement. C’est par exemple le cas dans le domaine aérien, où elle a été contrainte de négocier avec l’Allemagne des accords défavorables dans le cadre du survol de l’Allemagne du Sud par les avions à destination et en partance de l’aéroport de Kloten.

Primitif et simpliste

Le 6 décembre 1992, on avait beaucoup parlé du «röstigraben», de cette frontière séparant les francophones europhiles et les germanophones eurosceptiques.

Pourtant, Roger de Weck n’aime pas ce terme de «röstigraben», trop «primitif et simpliste» à ses yeux. Par ailleurs, ce fossé ne suffit pas à expliquer le vote du 6 décembre. Certes, on ne peut pas nier qu’il existe un fossé entre les communautés linguistiques, mais ce n’est pas le seul.

«Il y a aussi des milliers de frontières entre les cantons, à l’intérieur des cantons, entre la campagne et les villes, entre les régions économiquement fortes et les régions périphériques, entre les régions à tradition libérale et celles qui plongent leurs racines politiques dans le conservatisme», explique Roger de Weck.

Du coup, la Suisse ne peut pas être réduite au seul «röstigraben». C’est une explication «un peu courte», selon les termes de Roger de Weck. Tout comme, d’ailleurs, le sondage de l’Institut de recherches GfS qui montre que 30% des Romands sondés ne regretteraient pas une partition du pays.

Mieux représenter les minorités

Depuis le vote sur l’EEE, la Suisse a vécu une décennie pendant laquelle l’égoïsme a été érigé en modèle. «Pas seulement l’égoïsme individuel, mais aussi l’égoïsme de groupe», souligne Roger de Weck.

Durant cette période, la disposition à faire quelque chose pour l’autre communauté a diminué, des deux côtés. «Mais je crois que les Alémaniques portent la plus grande part de responsabilité, juge Roger de Weck. Ils ont oublié ce que signifie pour l’autre communauté le fait de se retrouver dans une position de minorité.»

L’idée qu’une minorité doit être sur-représentée au sein d’un Etat est très importante pour la Confédération. «Cette idée géniale des fondateurs de l’Etat fédéral moderne doit être perpétuée, déclare l’éditorialiste. Mais les Alémaniques ont tendance à l’oublier, ce qui ne fait qu’augmenter le ressentiment des francophones.»

Pour Roger de Weck, mieux prendre en compte les minorités est donc indispensable pour l’avenir de la Suisse. Mais il ne s’agit pas seulement des minorités linguistiques. «Nous devons aussi nous occuper des minorités sociales, et, naturellement aussi, des nombreux étrangers qui sont présents dans notre pays», conclut-il.

swissinfo/Jean-Michel Berthoud

– Roger de Weck est né en 1953 à Fribourg. Bilingue (allemand-français), il a été élevé à Genève et à Zurich.
– Il a collaboré à plusieurs journaux: la Tribune de Genève, 24 Heures, die Weltwoche. Il y également été rédacteur en chef du Tages Anzeiger (1992-1997) et du prestigieux quotidien allemand Die Zeit (1997-2000).
– Depuis 2001, il est éditorialiste indépendant.

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