TSR SCIENCE 11 Histoire et philosophie des sciences
L'histoire des sciences est l'une des meilleures manières d'approcher la science actuelle.
Jean-Claude Pont, le plus valaisan des professeurs genevois, nous invite à réfléchir sur le présent grâce au passé.
D’un côté, les sciences techniques. De l’autre, les sciences humaines et sociales. Entre deux, une indéniable rivalité. Il serait grand temps de prendre du recul afin qu’une interaction s’établisse.
Toute découverte scientifique se fait dans un contexte historique, philosophique, social et politique particulier. Ne pas en être conscient, c’est donner raison à Rabelais qui, au 16e siècle déjà, soulignait que «science sans conscience n’est que ruine de l’âme».
Une chaire particulière
L’université de Genève est la seule en Suisse à proposer une formation dans ce domaine. Jean-Claude Pont y est professeur d’histoire et philosophie des sciences. Sa particularité: être rattaché à la fois à la faculté des lettres et à la faculté des sciences.
Personnalité hors du commun, il est également docteur en mathématiques et guide de montagne diplômé, créateur de la course pédestre Sierre-Zinal…C’est d’ailleurs à Zinal, dans le Val d’Anniviers, que Jean-Claude Pont nous a donné rendez-vous parce que son laboratoire «est partout»!
Illettrisme scientifique
«L’ensemble de la société souffre d’illettrisme scientifique, constate Jean-Claude Pont. La société a mal à sa science et cette dernière n’est pas reconnue à sa juste valeur. C’est un paradoxe car la science est incontournable, notre quotidien y baigne. Mais on s’en méfie».
Le professeur souligne le rôle de l’école obligatoire, où la science ne serait pas assez bien enseignée. Mais il pointe aussi du doigt une autre cause plus ancienne, plus profonde:
«Il y a une sorte de fierté à reconnaître son ignorance de la science. On ne trouve guère d’écrivain qui n’a pas dit une fois ou l’autre: ‘Moi, les mathématiques, je n’y ai jamais rien compris’. On se flatte d’une ignorance. Il faudrait faire une psychanalyse sociale pour comprendre le phénomène».
Science et société
La science a souvent été diabolisée. Probablement parce que certains de ses produits peuvent être, lorsqu’ils sont mal utilisés, extrêmement dangereux pour la survie de la société.
A ce propos, Jean-Claude Pont a cette jolie formule: «On se trompe complètement, on poursuit l’ombre et on laisse fuir la proie».
Autrement dit: «Ce n’est pas le scientifique qui livre un mauvais produit, c’est celui qui l’utilise. Or cette utilisation est le fait des politiciens que nous nommons – du moins dans les pays démocratiques. Ce n’est pas la science qui est critiquable mais la façon dont elle est employée».
Financements difficiles
Il n’y a pas de tradition de philosophie des sciences (épistémologie) en Suisse, même des savants helvétiques ont porté un regard lucide et pertinent sur la science.
Par ailleurs, les budgets alloués à la recherche étant ce qu’ils sont, il est difficile de faire une place à l’histoire et à la philosophie des sciences: le retour sur investissement débouche rarement sur une innovation technologique génératrice d’emplois.
Ainsi, pour obtenir une aide du Fonds national suisse, ce n’est pas simple: «Les choses changent mais les historiens vous considèrent comme un scientifique et les scientifiques comme un historien ou un philosophe. Finalement, les uns et les autres prennent pitié et vous donnent quelque chose».
swissinfo/Yves Pillard
Bio express:
– Jean-Claude Pont naît à Sierre en 1941.
– Il obtient un diplôme et un doctorat en mathématiques à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ).
– Professeur de mathématiques au Lycée-Collège de Sion de 1965 à 1988.
– Depuis 1988, il est professeur ordinaire d’histoire et philosophie des sciences à l’université de Genève.
– Entre 1995 et 1999, il est directeur du département de philosophie de l’université de Genève.
– Il reçoit le Prix Arnold Reymond de philosophie des sciences pour la décennie 1974-1984.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.