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Face au Sida, l’Afrique doit produire ses médicaments

Le docteur Adrian Hazbun s'occupe d'un enfant séropositif à Gaborone, au Botswana. Keystone

L'Afrique reste le continent le plus touché par le virus VIH. Directeur exécutif d'Onusida, Michel Sidibé propose la création d'une agence africaine des médicaments, prélude au développement d'une industrie pharmaceutique africaine. Interview à l'occasion de la journée mondiale du Sida.

L’Afrique sub-saharienne, où vit 67% de la population mondiale infectée par le VIH, continue d’être la région le plus touchée par le Sida, selon le rapport annuel de l’Onusida, l’agence onusienne spécialisée dans la lutte contre la pandémie.

Environ 1,9 million d’Africains ont été infectés en 2008, portant le nombre de personnes vivant avec le virus à 22,4 millions en Afrique sub-saharienne.

L’ampleur de l’épidémie, qui a tendance à se stabiliser dans de nombreux pays africains, a fait plus de 14 millions d’orphelins dans cette région. Et quelque 91% des nouvelles infections chez les enfants dans le monde s’y produisent.

Raison pour laquelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande désormais de commencer plus tôt le traitement antirétroviral chez l’adulte et l’adolescent, d’administrer des antirétroviraux (ARV) plus longtemps pour réduire le risque de transmission du VIH de la mère à l’enfant à 5 % ou même en dessous. Pour la première fois, l’OMS recommande aussi que les mères VIH-positives et leur enfant prennent des ARV pendant l’allaitement pour éviter la transmission du VIH.

Comment se fait-il que les progrès de la lutte contre le Sida soient si faibles en Afrique?

Michel Sidibé : Les progrès ne sont pas si faibles et certains pays ont réussi à inverser la tendance et maîtriser la progression de l’épidémie. Cependant, il faut savoir que 70% des malades traités en Afrique dépendent de l’aide des pays riches pour se soigner. Le continent n’a pas suffisamment de ressources prévisibles et pérennes. Ainsi, les investissements à long terme sont limités et les projets atteignent rarement un niveau national.

Mais surtout, on utilise encore le vieux schéma de développement «vertical» caractérisé par la relation bilatérale entre le gouvernement du pays donateur et celui du pays récipiendaire. L’aide internationale doit maintenant se redéfinir au travers de schémas plus horizontaux, avec une capacité plus importante donnée aux acteurs et aux peuples africains.

Deux tiers des quatre millions de personnes sous traitement dans le monde vivent en Afrique. Non seulement ils ont difficilement accès aux médicaments, mais souvent ces derniers sont contrefaits.

M.S. : Le médicament constitue l’un des éléments les plus importants dans la lutte contre le Sida. Chaque jour où deux personnes démarrent un traitement antirétroviral, cinq autres sont infectées par le virus. Cela signifie que le nombre de personnes nécessitant un traitement ne cessera jamais d’augmenter. Or, les médicaments sont chers et leur efficacité n’est pas garantie à long terme.

Comme la plupart de ces médicaments ne sont pas produits en Afrique, c’est l’occasion pour le continent d’évoluer et de développer son industrie pharmaceutique en saisissant l’occasion de ce nouveau marché pour se moderniser et retenir ses cadres.

C’est dans cet esprit que vous conseillez la création d’une Agence africaine des médicaments pour réglementer le secteur.

M.S. : Effectivement, l’Afrique a besoin d’une Agence africaine des médicaments, à l’image de l’Agence européenne des médicaments, qui réglemente la coopération pharmaceutique en Europe. Cette création permettrait un transfert de compétences et de technologie. Elle élèverait le niveau de qualité des produits fabriqués en Afrique et rendrait plus strict l’enregistrement de produits importés. Elle renforcerait aussi le contact entre les Etats-membres qui pourraient créer un observatoire de suivi des prix des médicaments.

Comment envisagez-vous le financement d’un tel projet?

M.S. : Nous travaillons déjà de façon étroite avec le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) afin de d’élaborer un business plan.

Le stade suivant serait donc la production de médicaments en Afrique?

M.S. : C’est un marché émergeant de plusieurs milliards qui pourrait être abordé avec une approche continentale. Dans un premier temps on pourrait produire des médicaments classés dans le domaine public qui contribueront à la lutte contre la malaria, la tuberculose et le Sida. Ces démarches permettraient de protéger la population africaine contre les médicaments contrefaits et de qualité inacceptable.

Vu les intérêts financiers en jeu, ne pensez-vous pas que l’industrie pharmaceutique en Suisse et dans les autres pays développés freinera la démarche?

M.S : La mondialisation ne peut-être exclusive. Si le débat avec les firmes internationales ne se fait pas, on verra une réaction des pays émergeants vis-à-vis de l’Afrique.

Actuellement, le Brésil construit une unité industrielle au Mozambique. Une production à grande échelle de médicaments antirétroviraux utilisés pour prolonger la vie des personnes affectées par le VIH/Sida, va bientôt commencer. L’Inde monte une usine en Ouganda pour la production de génériques.

Catherine Fiankan-Bokonga, InfoSud/swissinfo.ch

Discriminées. Selon l’Aide suisse contre le Sida (ASS), les personnes séropositives ont aujourd’hui une espérance de vie normale mais elles continuent souvent à être discriminées.

Solidarité. Raison pour laquelle l’ASS fait appel ce 1er décembre à la solidarité en leur faveur dans tout le pays, à l’occasion de la Journée mondiale du sida.

Peurs diffuses. L’ASS dénonce des pertes d’emploi en raison d’une infection au VIH, le harcèlement par les collègues de travail, un mélange de peurs diffuses et de préjugés ainsi qu’une vision dépassée de la maladie qui pénalisent encore nombre de personnes séropositives.

Normalisation. L’existence de médicaments performants ont pourtant permis une «normalisation» de l’infection du VIH, selon l’ASS.

L’association demande en conséquence une «normalisation au sein de la société» pour garantir l’égalité des chances et les droits des séropositifs.

Citoyen malien, Michel Sidibé est le Directeur exécutif d’ONUSIDA depuis le 1er décembre 2008.

Entré dans l’organisation en 2001 en tant que Directeur du Département d’appui aux pays et aux régions, Michel Sidibé y a supervisé une vaste réforme, reconnue pour avoir transformé ONUSIDA en un programme commun mieux ciblé et plus efficace capable de donner des résultats au niveau des pays.

Michel Sidibé a également le rang de Secrétaire général adjoint des Nations Unies.

Catherine Fiankan-Bokonga

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