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Un nouveau souffle pour le Théâtre de Vidy

Le Français Vincent Baudriller succède à René Gonzalez à la tête de l'une des plus prestigieuses institutions culturelles du pays. Keystone

Nommé à la tête du théâtre lausannois de Vidy, le Français Vincent Baudriller affirme sa volonté de «développer encore plus la dimension internationale» de l’institution. Entretien.

Succéder à René Gonzalez, ex-directeur du Théâtre de Vidy, disparu en avril 2012, n’est pas facile. L’homme a fait de l’institution lausannoise la vitrine de la Suisse théâtrale à l’étranger. Il fallait donc une personnalité d’envergure.

Sur les huit candidatures présentées, c’est celle du Français Vincent Baudriller qui a été retenue le 20 décembre dernier par la Municipalité de Lausanne et la Fondation pour l’art dramatique. Actuel co-directeur du Festival d’Avignon qu’il quittera fin juillet, Vincent Baudriller, 44 ans, entrera en fonction en septembre 2013.

swissinfo.ch: Vous avez été choisi grâce surtout à la qualité de votre projet artistique. Pourriez-vous nous dire un mot sur ce projet?

Vincent  Baudriller: Vidy m’intéresse pour deux raisons. D’abord parce que ce théâtre est l’un des plus grands d’Europe, avec un impressionnant rayonnement international. Ensuite parce qu’il est très bien ancré localement, entendez en Suisse romande. Mon projet s’articule donc autour de cette double singularité, rare je dois l’avouer. Il n’y a pas beaucoup de scènes qui jouissent d’une telle force. Autant donc en profiter. Et pour ce faire, il faut remettre Vidy dans son contexte territorial, à savoir Lausanne.

Il y a beaucoup de circulation dans cette ville, très cosmopolite en raison de sa population qui compte de nombreux employés de multinationales. Mieux, elle se situe au cœur de l’Arc lémanique. Je trouve donc très motivant d’accentuer cette double caractéristique en s’appuyant sur l’identité de Vidy, qui est un théâtre de création et de production à la fois, avec de nombreuses tournées dans le monde.

De nationalité française, né en 1968, il codirige depuis 10 ans le Festival d’Avignon qu’il quittera fin juillet 2013.

Etudiant à l’École supérieure de commerce de Rouen, il participe à la création d’un festival de théâtre étudiant.

Diplômé, il est engagé en 1990 à l’ambassade de France à Madrid, sans abandonner le monde du théâtre.

Il entre au Festival d’Avignon en 1992, comme attaché de production du programme traditionnel sud-américain.

Il grimpe vite les échelons et devient ainsi l’ordonnateur des programmes internationaux du Festival, pour l’Inde (1995), la Russie (1997), et l’Amérique latine (1999).

En 2003, il est nommé directeur du Festival. Le duo qu’il forme avec Hortense Archambault, codirectrice, redonne à un festival vieilli une nouvelle jeunesse. Chaque édition est conçue désormais avec un artiste associé, de renommée internationale.

En janvier 2012, il est nommé officier de l’Ordre des Arts et des Lettres.

En septembre 2013, il prendra la direction du théâtre Vidy à Lausanne.

swissinfo.ch: Au sein du festival d’Avignon que vous codirigez jusqu’en juillet 2013, vous avez acquis précisément une grande expérience internationale. Concrètement, comment en ferez-vous profiter Vidy?

V.B.: Les créateurs que j’ai pu rencontrer au cours de mes voyages, mon regard sur les scènes d’Europe, d’Amérique et d’Afrique font partie de mon univers qui sera intégré à Vidy. Je ne prendrai mes fonctions qu’en septembre prochain. Il est donc encore tôt pour aller dans les détails. Ce que je sais en revanche, c’est que Vidy sera davantage tourné vers l’étranger, avec une volonté de développer encore plus la dimension internationale à l’intérieur même du théâtre.

swissinfo.ch: Qu’entendez-vous par là?

V.B.: Je souhaite faire venir des artistes d’autres pays, d’autres cultures, dont les sensibilités croisent celles des créateurs suisses, d’une part; et entrent en résonance avec le cosmopolitisme de Lausanne, d’autre part.

swissinfo.ch: Mais c’est ce que faisait déjà votre prédécesseur René Gonzalez, non?

V.B.: Je préfère éviter les comparaisons. J’arrive avec ma propre ambition et forcément avec une énergie renouvelée qui consiste à diversifier les styles artistiques et à élargir les territoires esthétiques.

swissinfo.ch: Venons-en au local. En Suisse, les échanges culturels entre les différentes régions linguistiques sont souvent difficiles à concrétiser. On voit par exemple peu d’Alémaniques se produire dans l’espace romand, et inversement. Tenteriez-vous là aussi davantage d’ouverture?

V.B.: On peut en effet être surpris par le manque de dialogue entre la Suisse francophone et la Suisse alémanique.  Mais bon, je suis Français; à ce titre, j’ai forcément un rapport plus détendu aux différentes cultures helvétiques. Je pense néanmoins que l’identité d’un théâtre reste toujours liée à la ville ou à la région qui l’héberge. Je privilégierai donc les liens avec les scènes et les artistes locaux. Mais attention: j’y mettrai des exigences de qualité, les mêmes que celles requises à l’égard des créateurs étrangers que j’inviterai.

Pour ce qui est des contacts avec la scène alémanique, que je trouve inventive, originale, dotée d’un  sens de la dérision très appréciable, j’entends bien les renforcer. Il y a là une richesse à exploiter. Je m’explique: les échanges permettent de s’interroger sur le mot «Suisse» et toute la complexité culturelle qu’il recèle. Le langage d’un artiste se nourrit de sa terre, de son Histoire. Et lorsque différentes Histoires se rencontrent, c’est toujours passionnant.

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swissinfo.ch: Certains créateurs romands se plaignent de voir Vidy plus ouvert aux compagnies françaises que la scène hexagonale n’est ouverte aux Suisses francophones. Allez-vous rectifier le tir?

V.B.: Je n’inviterai pas les artistes en fonction de leur passeport mais de leur talent.  Ceci dit, l’accueil des acteurs et metteurs en scène romands sur la scène hexagonale ne dépend pas de moi, mais des programmateurs. Ce sont eux qui font les choix et montent leur affiche. Je ne pense pas toutefois que la scène institutionnelle française soit protectionniste. Mon expérience me permet de dire qu’elle compte parmi les plus ouvertes d’Europe.

Mais la vraie question n’est pas là. Pour pouvoir «vendre» les artistes suisses à l’étranger, il faut savoir les rendre «visibles». Je compte donc organiser à cet effet un mini-festival qui se tiendra à l’intérieur d’une saison et permettra à des programmateurs de tous horizons de voir en rafales des créations d’ici qu’ils pourront éventuellement acheter. Je pense que ce sera là un procédé attractif et mobilisateur.

swissinfo.ch: Que répondez-vous à certains lecteurs de la presse romande qui, suite à votre nomination, se demandaient pourquoi on continue d’engager à la tête des institutions culturelles des personnes de l’étranger?

V.B.: Je leur propose d’adresser leur question aux autorités qui m’ont nommé.  

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