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«Je n’étais pas du tout préparé à l’idée de la guerre en Ukraine»

Vladislav
«Lorsque la guerre a commencé le 24 février, je n'arrivais tout simplement pas à croire ce qui se passait. Mon psychisme n'était pas du tout préparé à cette guerre.» swissinfo.ch

La mobilisation «partielle» décrétée par Moscou a été un tournant pour beaucoup de Russes. Le 21 septembre 2022, tout a changé, comme en témoigne Vladislav Dontchenko, objecteur de conscience et requérant d’asile en Suisse.

Depuis l’invasion de l’Ukraine, une sorte de contrat social tacite était en vigueur en Russie. L’«opération militaire spéciale» visant à «dénazifier et démilitariser» l’Ukraine devait être menée par des militaires professionnels, tandis que la population civile suivrait les événements à la télévision. Mais la mobilisation «partielle» décrétée par Moscou le 21 septembre 2022 a tout changé.

Désormais, rentrer chez soi le soir après le travail et se retrouver deux jours plus tard sur le front à Kherson ou Bakhmout est un scénario inacceptable, mais plausible. Enrôlés de force, des citoyens sans véritable formation militaire et dépourvus de toute motivation guerrière ont peu de chances de survivre aux combats. Dans ces circonstances, une conscription en Russie équivaut à une condamnation à mort quasi certaine.

Il n’est donc pas étonnant que 700’000 hommes aient déjà fui le pays depuis l’annonce de la mobilisation. Environ 200’000 individus sont partis au Kazakhstan voisin, rapporte l’édition russe de Forbes. D’autres personnes ont rejoint l’Europe occidentale, comme Vladislav Dontchenko. Nous nous sommes entretenus avec lui à Berne, dans un petit café face au Palais fédéral. Son père est ukrainien, sa mère russe. Lorsqu’il avait quatre ans, ses parents ont divorcé et il a déménagé avec elle à Yaroslavl, une petite ville au nord de Moscou.

Enfant, il passe ses vacances d’été en Ukraine, dans la région de Poltava et, à l’âge adulte, il étudie à Moscou. Vladislav refuse de décider si sa nationalité est russe ou ukrainienne. «J’ai du sang cosaque en moi, mais j’ai obtenu un diplôme en construction de moteurs à combustion à l’Université technique d’État de Moscou. J’ai passé toute ma vie dans la capitale russe.»

Le choc de la passivité russe

Jusqu’à récemment, il travaillait à Moscou en tant que constructeur. Son parcours comprend un détour par la Chine. «Lorsque la guerre a commencé le 24 février, je n’arrivais tout simplement pas à croire ce qui se passait. Mon psychisme n’était pas du tout préparé à cette guerre. Je pensais que le conflit se terminerait comme en 2021. Les troupes russes s’étaient approchées des frontières de l’Ukraine mais n’avaient fait qu’un exercice militaire. J’étais absolument certain que ça finirait de la même manière cette fois-ci. Puis j’ai écrit à ma tante à Kiev pour lui demander de ses nouvelles. Elle m’a dit qu’elle avait été réveillée le matin par le bruit des explosions.»

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Vladislav poursuit: «J’étais complètement hors de moi. Ce jour-là, j’ai été incapable de travailler. Je suis resté assis à mon bureau à lire les informations. Je savais pertinemment que je devais descendre dans la rue et protester. J’étais sûr que beaucoup de gens feraient de même, comme lors des manifestations de soutien à Alexeï Navalny.» Mais à la grande déception de Vladislav, ce n’est pas le cas. De petits groupes de personnes se rassemblent dans le centre de Moscou, près de la place populaire du monument Pouchkine, mais rien de plus. Cette passivité des citoyens et citoyennes a été un «deuxième choc» pour lui.

«Plus de 15 millions de personnes vivent à Moscou. Celles qui sont descendues dans la rue pour protester contre les missiles qui volaient vers l’Ukraine n’ont été qu’une goutte d’eau dans l’océan.» A-t-il essayé de comprendre cette absence de réaction? Oui, répond Vladislav. Selon lui, l’explication est banale: la crainte de finir en prison à la moindre désobéissance. «Avec l’appareil répressif qui a été créé en Russie, les gens ont tout simplement peur. Je me rendais compte que j’étais moi-même une cible. Cependant, je n’y ai même pas pensé à l’époque, parce que c’était tellement insignifiant par rapport aux horreurs qui se déroulaient en Ukraine.»

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Manifester puis être enrôlé

Vladislav dit avoir participé trois fois à des manifestations anti-guerre depuis février 2022. Puis il a réalisé que cet engagement ne pouvait que le conduire en prison. Il voyait les Moscovites se promener tranquillement, boire un café et manger au restaurant, tandis que des personnes civiles mouraient sous les bombes russes à Marioupol. Vladislav a quitté la Russie pour la première fois début mars 2022. Via Istanbul, il s’est rendu en Suisse, où il a séjourné deux mois chez sa sœur avant de rentrer chez lui en juillet.

Il n’aime pas en parler mais, comme il le dit lui-même, il s’est en quelque sorte habitué aux circonstances. Il lui semblait qu’il devait tout de même continuer à vivre à Moscou, d’autant plus qu’il n’avait pas la possibilité de travailler ailleurs qu’en Russie. Puis la mobilisation a commencé. «Ce jour-là, je suis retourné à une manifestation. C’était à Yaroslavl», relate Vladislav. «Quatre jours plus tard, je suis allé à Moscou pour participer à un rassemblement. Mais les gens étaient encore moins nombreux que lors de la protestation du début de la guerre. En revanche, il y avait davantage de police, encore plus d’arrestations.»

Vladislav ne se décrit pas comme quelqu’un qui, comme Alexeï Navalny, serait prêt à aller en prison pour ses idées. Il se voit comme un homme normal, un représentant de la classe moyenne qui serait un soutien de la société dans n’importe quel autre pays, comme en Suisse par exemple. Mais pas en Russie. Là-bas, il a appris que tous ceux qui avaient été arrêtés lors de manifestations anti-guerre avaient reçu des convocations de la part des bureaux de recrutement de l’armée. «J’avais peur de recevoir une telle sommation. Mais renoncer aux manifestations me paraissait tout aussi inacceptable», explique Vladislav.

«Une fois que vous avez reçu un tel document, vous n’avez plus le droit de quitter légalement le pays. Cette éventualité a été le motif décisif de mon départ. J’ai réussi à acheter un billet de bus pour Helsinki, d’où j’ai pris l’avion pour rejoindre ma sœur en Suisse. Je me souviens encore du soulagement que j’ai éprouvé lorsque j’ai réussi à passer la frontière. Le lendemain, j’ai appris qu’un guichet de mobilisation du ministère de la Défense avait été installé au poste frontière d’où j’avais quitté le pays.»

Une propagande dangereusement efficace

Selon les médias, au moins 50% de la population russe estime que cette guerre est juste. Ou est-ce simplement devenu une habitude de renoncer à toute responsabilité politique? Vladislav estime que dans son environnement social, c’est-à-dire parmi les jeunes gens de 20 à 30 ans avec un niveau de formation supérieur, on peut compter sur les doigts d’une main celles et ceux qui soutiennent la guerre.

En attendant, la majorité des gens préfèrent éviter les problèmes. La plupart ne voient pas pourquoi manifester si cela reste politiquement sans effet, mais qu’une peine de prison est probable, résume Vladislav. Le peuple russe est-il conscient que le pays, comme l’Allemagne autrefois, porte une dette historique dont il devra s’acquitter pendant des décennies? La réponse de Vladislav est rapide et sans équivoque: non, ce n’est pas le cas. La faute en revient principalement à la propagande. Selon lui, cette arme est tout aussi mortelle que les missiles et les drones avec lesquels la Russie veut détruire les villes ukrainiennes.

Trois francs par jour

A son arrivée en Suisse le 29 septembre 2022, Vladislav s’est immédiatement rendu au centre fédéral d’asile de Zurich. Comme il parle anglais, il a été en mesure de communiquer lui-même avec les autorités migratoires. «Quand je suis allé au centre pour demander le statut de réfugié, je ne m’attendais pas à y être retenu du jour au lendemain. Cependant, ce n’était pas une détention. Il est clair que lorsqu’on vous donne la possibilité de demander le statut de réfugié, on vous impose aussi des obligations.»

Le personnel lui a d’abord retiré tous ses papiers, puis les lui a rendus, à l’exception de ses deux passeports: un passeport de voyage et un passeport national. Sur la base de ces documents, les autorités lui ont délivré une attestation officielle le désignant comme requérant. Le centre fédéral d’asile de Zurich s’est ensuite retrouvé surpeuplé et Vladislav a été transféré dans le canton de Berne.

«Là où je suis hébergé, je dois être présent de 21 heures à 9 heures du matin. Je dois également arriver à l’heure à l’entretien avec les autorités. Ce sont les deux principales contraintes.» Au centre, il reçoit trois repas par jour. Des vêtements sont aussi fournis aux personnes qui n’en ont pas. A Berne, les requérants et requérantes reçoivent des articles d’hygiène personnels et 3 francs par jour d’argent de poche. Vladislav ne sait pas exactement quand son entretien aura lieu, c’est pourquoi il doit être joignable le soir, car la date de l’entrevue est généralement communiquée la veille.

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Il est juste un peu surpris que personne ne lui ait encore demandé officiellement pourquoi il a quitté la Russie pour faire une demande d’asile en Suisse. Il sait que les autorités migratoires helvétiques traitent en général correctement les personnes demandeuses. Il en a lui-même fait l’expérience. Au début de la pandémie, après avoir rendu visite à sa sœur en Suisse, il s’est retrouvé en difficulté en raison d’un visa expiré, alors que tous ses vols avaient été annulés. Vladislav espère donc que son cas sera jugé positivement.

Traduction: Mary Vacharidis

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