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Qu’impliquerait un droit de vote lié au pays de résidence pour la 5e Suisse?

Une initiative demande d’introduire en Suisse un droit fondamental à la naturalisation, avec une extension possible des droits politiques à l’ensemble des personnes résidant dans le pays. Mais ce texte pourrait avoir des répercussions sur le droit de vote et d’éligibilité des Suisses de l’étranger.

En rédigeant cet été un article pour la série «Perspectives» sur l’histoire du droit de vote des Suisses de l’étranger, j’ai pointé des lacunes concernant l’envoi du matériel de vote et la participation politique de la Cinquième Suisse.

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A ma grande surprise, les réactions n’ont pas manqué. Des messages ont fait état du privilège dont bénéficie cette diaspora, au sein de laquelle beaucoup de personnes possèdent une double nationalité et peuvent par conséquent voter deux fois. Une situation qui, selon plusieurs réactions reçues, serait en contradiction avec le principe «one man, one vote» (une personne, une voix).

En écho à cet article, d’autres messages ont également déploré qu’une partie de la population étrangère vivant en Suisse ne soit, à l’inverse, pas en droit de participer à la vie politique, faute de naturalisation. Selon ces commentaires, c’est à ce niveau-là qu’il faut agir, pas sur la Cinquième Suisse.

Un ancien politicien écologiste s’est même montré catégorique, estimant dans son message que le droit de vote et d’éligibilité des Suisses de l’étranger serait douteux du point de vue démocratique. «Ces droits doivent être garantis à toutes les personnes qui résident dans le pays, mais uniquement dans le pays, indépendamment de leurs origines et de leur âge», a-t-il avancé.

La plupart des réactions à mon article émanaient des rangs de l’association Aktion Vierviertel, basée à Zurich. En cette année électorale en Suisse, l’organisation a lancé une initiative populaire demandant de réhabiliter le droit de cité, avec l’instauration préalable d’un droit fondamental à la naturalisation, dont pourraient jouir – si l’initiative passait – l’ensemble des personnes habitant en Suisse.

Cette extension concerne surtout les populations étrangères qui résident dans le pays en toute légalité depuis cinq ans au moins. Autre condition pour prétendre à ce droit: ne pas avoir été condamné à une peine de prison de longue durée ou avoir mis la sécurité de la Suisse en danger à l’intérieur ou depuis l’extérieur de ses frontières. Dernière exigence, posséder des connaissances rudimentaires de l’une des langues nationales.

Ce texte ne mentionne pas explicitement que ces personnes ne pourront jouir de ces droits politiques que dans un seul pays. Il me semble cependant que cette option fasse partie des arguments d’une partie de celles et ceux qui militent pour le texte (gauche, Vert-e-s, libéraux-radicaux). Voilà qui pourrait, si on extrapole, signifier la fin du droit de vote de la Cinquième Suisse.

Deux conceptions théoriques, mélangées en pratique

Théoriquement, deux conceptions de la citoyenneté s’opposent au 21e siècle, et par conséquent les droits politiques qui y sont rattachés:

  • La première se distancie de l’origine pour privilégier le lieu de vie. Ce «ius soli» (droit du sol) prend pour base le lieu de naissance des personnes sur un territoire donné, ce qui est facile à déterminer.
  • Il en va autrement du «ius sanguinis» (droit du sang), qui fonde sa doctrine sur la nationalité des parents, laquelle est transmise ensuite à la descendance. Celle-ci reste la même quel que soit l’endroit où l’on vit et le lieu de naissance.


Dans la pratique, on assiste souvent à un mélange des deux conceptions. C’est pourquoi invoquer le principe «one man, one vote» dans ce cas précis, comme le fait le comité d’initiative, n’est pas pertinent.

Ce slogan, popularisé à la fin du 19e siècle, se réfère à l’abolition des privilèges dont bénéficiait alors la bourgeoisie par rapport au monde ouvrier. Au 20e siècle, ce slogan a été aussi utilisé pour justifier le droit de vote des victimes de discriminations ethniques.

De plus, rien ne garantit dans ce texte que la réciprocité serait assurée pour les Suisses de l’étranger dans les pays où elles et ils ont élu domicile.

Recherche sur la démocratie dans le monde

Le projet de recherche V-Dem de l’Université de Göteborg évalue depuis des années les systèmes politiques à travers le monde. Il en ressort que les démocraties les plus mûres accordent autant d’importance à la garantie des droits fondamentaux, au bon fonctionnement de l’Etat de droit, à la promotion de l’égalité, aux négociations publiques, à la participation politique et à l’élection d’un parlement.  

Cette équipe de chercheuses et chercheurs de diverses nationalités fait aussi régulièrement l’éloge de la Suisse. Ceci pour trois raisons en particulier: l’organisation régulière d’élections et de votations dans le pays; une démocratisation à l’œuvre à la fois dans les cantons, les villes et les communes; et la participation active de la population suisse au processus politique.

Dès lors, faut-il toucher à ce système?

Particularismes de la conception suisse de la démocratie

L’une des particularités de la Suisse est d’avoir opté en faveur d’un système de démocratie participative pour édifier ses institutions. Elle a cependant limité pendant longtemps l’accès à ce système à des groupes de personnes tout en en excluant d’autres.

Rappelons à cet égard que les femmes n’ont obtenu le droit de vote en Suisse qu’à partir de 1971. Les personnes indigentes et la Cinquième Suisse ont également attendu longtemps. Aujourd’hui encore, les personnes qui souffrent de handicap et les moins de 18 ans sont privées de droits politiques.

La Suisse s’est nourrie de l’image d’une démocratie spéciale qui se méritait, avec des droits politiques considérés comme un privilège qu’il était difficile d’acquérir. Seul un débat sur une démocratie plus moderne a permis depuis de redéfinir et d’étendre l’usage des droits politiques.

Pour les Suisses de l’étranger, le tournant a eu lieu en 1966 avec l’introduction d’un article constitutionnel. Mais leurs droits n’ont pu être effectifs qu’à partir de 1992 et l’introduction du vote par correspondance.

Concernant les personnes atteintes de handicap, la Suisse a pour l’heure adopté la Convention de l’ONU relative à leurs droits, entrée en vigueur dans le pays en 2014. Genève a pour sa part été le premier canton à leur permettre de pouvoir exercer leurs droits dès 2020.

Pour ce qui est des jeunes, Glaris a introduit en 2007 le droit de vote à 16 ans, une décision qui tarde au niveau fédéral.

Une évolution lente mais visible

Reste encore aujourd’hui en suspens la question du droit de vote des personnes étrangères domiciliées en Suisse. Quelques communes et deux cantons l’ont officialisé (Jura et Neuchâtel).

Mais de nombreuses tentatives allant dans ce sens ont échoué en raison d’un électorat encore rétif. Un droit de cité non reconnu freine la progression du processus de participation.

Perspective à long terme

La tendance dans le monde tend vers une abolition des privilèges liés au droit de vote, mais cette évolution requiert du temps.

Voilà qui plaide pour l’initiative lancée par Aktion Vierviertel, si son intention n’est bien sûr pas de mettre en péril les droits politiques de la Cinquième Suisse, ce qui réduirait au final ses chances.

Edité par Marc Leutenegger, traduit de l’allemand par Alain Meyer.

Les initiatives populaires ont la vie dure en Suisse, comme l’explique cet article:

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