Des perspectives suisses en 10 langues

La Suisse met à son menu la lutte contre le gaspillage alimentaire

Fruits et légumes dans un compost
Jesse David Falls/shutterstock

Hausse des prix alimentaires, difficultés d’approvisionnement, consommation gigantesque des ressources: autant d’incitations à économiser la nourriture. Le tiers des denrées produites finit pourtant à la poubelle dans le monde. Comment l’agriculture, le commerce de détail et les groupes d’intérêt empoignent-ils ce dossier en Suisse? Et tout un chacun? 

Les denrées alimentaires se font rares et les prix grimpent. Depuis l’invasion russe, les champs ukrainiens sont balafrés par les chars d’assaut et laissés en jachère. Les voies commerciales coupées, avec des conséquences ressenties partout sur la planète. 10% de la production mondiale de céréales, 15% du maïs et plus de la moitié du commerce de l’huile de tournesol proviennent en effet d’Ukraine, calcule la Commission européenne.

Contenu externe

Ce genre de pénuries se répéteront à l’avenir, guerre ou pas guerre. Le réchauffement climatique réduit les surfaces cultivables et favorise les événements climatiques extrêmes susceptibles de réduire les rendements. Les régions du Sud en feront tout particulièrement les frais.

Utiliser les aliments dont nous disposons de manière plus rationnelle est une solution évidente. Le tiers de ce qui est produit finit en effet à la poubelle. La langue anglaise parle de Foodwaste.

Il ne s’agit pas seulement là d’un immense potentiel inexploité. Mais d’un problème qui péjore la situation en alimentant le changement climatique. «Rapportés à un pays, la perte et le gaspillage alimentaires constitueraient la troisième source d’émissions de gaz à effet de serre», constate l’ONU dans un rapport.

Bilan négatif des mesures

Mais comment parvenir à éviter le gaspillage alimentaire? La Suisse s’est aussi interrogée. Elle a opté pour une réduction de la moitié des déchets nourriciers évitables d’ici 2030 – un objectif ambitieux en vue duquel les initiatives actuelles ne suffiront pas. C’est le constat du nouveau plan d’action produit par l’Office fédéral de l’environnement (OFEV).

Il n’existe aucune solution simple pour y parvenir, juge l’OFEV. De la culture à la production jusqu’à la vente et la consommation, d’innombrables protagonistes sont à l’œuvre. Et dans un monde aussi globalisé, ils sont souvent dispersés dans différents pays.

Les efforts et initiatives sont nombreux pour réduire le gaspillage alimentaire, mais la plupart ont «un impact local et concernent des niches», écrit l’OFEV. Agir efficacement passe donc par une extension de ces mesures.

En chiffres, le long de la chaîne de création de valeur, où la Suisse enregistre-t-elle le plus de pertes alimentaires évitables? Dans le secteur de la transformation, puis au niveau des ménages et de l’agriculture, comme le montre le graphique ci-dessous.

Contenu externe

«On observe clairement que le gaspillage est beaucoup plus important en fin de chaîne alimentaire dans les pays industrialisés et en début de chaîne dans les pays en développement», explique Claudio Beretta, chercheur à la Zürcher Hochschule für Angewandte Wissenschaften. Consommatrice et consommateurs des pays riches peuvent plus aisément se permettre de laisser des aliments se dégrader, mais l’explication se situe ailleurs aussi: «Dans les pays pauvres, manquent souvent le savoir-faire et surtout la technologie pour récolter et stocker de manière optimale».

En revanche, dans l’agriculture suisse, un déchet évitable résulte souvent de son inadéquation aux règles commerciales, qualifiées de «sévères» par l’Union suisse des paysans (USP). En clair, le fruit ou le légume est tout à fait comestible, mais pas assez beau pour être vendu.

Carotte avec une forme non conventionnelle
Chmjo / Alamy Stock Photo

La surproduction est une deuxième raison importante invoquée par l’USP pour expliquer pertes et gaspillage. Elle concerne surtout les produits frais rapidement périssables comme les salades, dont croissance et consommation dépendent d’ailleurs fortement de la météo.

Diverses organisations ont identifié le problème. Elles revendent ou distribuent gratuitement aux personnes dans le besoin, qui le concombre biscornu, qui la tête de salade en rade. La Confédération juge important le potentiel environnemental de ces initiatives – il s’agirait toutefois de les concrétiser à plus large échelle.

Le grand distributeur Coop, par exemple, propose sous un label ad hoc fruits et légumes qui ne répondent pas aux normes. Guère plus qu’une goutte d’eau dans l’océan, note le plan d’action fédéral. Les volumes de ce genre de mesures ne couvrent actuellement qu’une petite fraction du volume des pertes alimentaires, selon Berne.

Vendus et oubliés

Une fois les aliments arrivés sur les rayons des détaillants, il est très rare qu’ils les quittent sous la forme de déchets. swissinfo.ch a interrogé les deux plus grands distributeurs en Suisse. «98,56% des denrées alimentaires que Migros propose en magasins et restaurants sont vendues ou offertes en tant que telles», assure Patrick Stöpper, porte-parole du géant orange.

Même son de cloche chez Coop: «Au final, seul 0,2% des denrées alimentaires de nos supermarchés est invendu ou donné et converti en nourriture animale ou en biogaz», indique Melanie Grüter, communicante du détaillant.

Tous deux soulignent leur volonté d’éviter le gaspillage alimentaire. Ils collaborent avec différentes organisations comme «Table suisse» ou «Table couvre-toi», qui distribuent les invendus alimentaires aux personnes dans le besoin.

Cela dit, davantage pourrait être fait, constate l’OFEV. «Les quelque 10’000 tonnes d’aliments donnés en 2018 ne représentent qu’environ 7% des déchets alimentaires évitables imputables au commerce de détail (138 tonnes)», signale le plan d’action. Aller plus loin implique surtout davantage de ressources financières.

La plupart des denrées alimentaires passent donc des étals aux réfrigérateurs de la clientèle. Et là, le gaspillage pourrait être facilement évité… Souvent, au départ, on a trop rempli son caddie. C’est particulièrement vrai en Suisse, constate le chercheur Claudio Beretta. «Consommatrices et consommateurs peuvent se permettre d’acheter davantage que ce dont ils ont besoin.»

Sacs à commission
Nous achetons plus de nourriture que nous n’en consommons. Imago Images / Geisser

Alors, pourquoi ne pas commencer par le prix? En incorporant par exemple aux tarifs existants les coûts externes des dégâts environnementaux de la production alimentaire? Le plan d’action fédéral balaye cette solution. Le calcul du supplément de prix est jugé trop complexe et politiquement inapplicable.

Comme les consommateurs et consommatrices, les magasins répondent à une incitation pernicieuse. Que la clientèle consomme ou non les produits achetés n’a guère d’importance, décrypte Claudio Beretta. «Chaque produit que le commerce de détail vend rapporte davantage de bénéfice – qu’il finisse ou non à la poubelle».

Pour le consommateur, éviter le piège est à la fois simple et efficace. «Avec des comportements simples, comme jeter un coup d’œil dans son réfrigérateur avant de faire ses courses, on peut éviter d’énormes gaspillages», explique le spécialiste.

À cet égard, les détaillants ont aussi leur rôle à jouer. Il est par exemple prévu d’ajouter à la date de péremption des denrées la mention «Souvent bon après» lorsque tel est le cas.

Bien planifier ses achats, stocker la nourriture de manière adéquate ou connaître les dates de péremption font partie des bonnes pratiques. Tout en sachant que beaucoup d’aliments sont encore bons à boire ou manger une fois la date limite de consommation dépassée.

Une Suisse à la traîne

À l’aune internationale, Claudio Beretta est catégorique, certains pays européens ont de l’avance sur la Suisse dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. En particulier les pays scandinaves et les Pays-Bas.

«En Europe, la Norvège et la Grande-Bretagne sont considérées comme d’importants précurseurs dans la réduction des pertes alimentaires. Ces deux pays ont conclu depuis plus de dix ans des accords avec les acteurs économiques basés sur le volontariat», indique le plan d’action suisse.

La Suisse souhaite rattraper son retard d’ici 2030. Son objectif de réduction de moitié du volume des déchets alimentaires est-il trop ambitieux? Au vu de la situation des pays actifs après dix ans de travail, au rythme actuel, «je ne peux pas imaginer que la Suisse atteigne ses objectifs», regrette Claudio Beretta. Car si le plan d’action suisse trouve grâce à ses yeux, «il y a encore loin de la parole aux actes».

(Traduction de l’allemand: Pierre-François Besson)

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision