Au-delà de l’arc-en-ciel
Une exposition au Musée des arts de St-Gall explore un thème inhabituel: le bonheur. Elle réunit des œuvres classiques et contemporaines et invite le visiteur à réfléchir à l’influence du bonheur dans la création artistique.
Over the Rainbow doit être l’une des chansons les plus interprétées et les plus enregistrées de toute l’histoire. La légendaire Judy Garland en a fait un hymne universel en 1939 et le Musée des arts de St-Gall l’a choisie comme titre de son exposition.
«Nous voulons tous être heureux et échapper à la routine. C’est un désir commun.» C’est ainsi que Konrad Bitterli, le co-curateur, explique comment a surgi l’idée d’organiser cette exposition.
«Je crois que le bonheur est un élément central du bien-être humain, à l’égal de la recherche de la paix et de la sérénité. C’est du moins ce que nous voyons constamment à la télévision ou dans les comédies romantiques. Cette exposition explore ce moment où l’on échappe aux préoccupations et à la routine quotidienne en présentant des œuvres du 19e siècle à côté d’autres contemporaines», précise Konrad Bitterli.
L’exposition est «un dialogue inattendu, délicieux et même amusant entre des œuvres remarquables de différentes époques traitant de moments heureux comme les naissances, des familles unies, le bal ou la relation avec la nature», indique le curateur.
Le musée expose des œuvres des maîtres Cuno Amiet, Ferdinand Hodler, Robert Zünd, entre autres artistes suisses, ou encore de Max Liebermann, l’un des principaux représentants de l’impressionnisme allemand. Le visiteur peut aussi découvrir des productions contemporaines de l’Israélienne Yael Bartana, de la Sud-Africaine Candice Breitz, du Cubain Felix Gonzalez-Torres ou du Suisse Beat Streuli. Une place est également faite aux artistes émergents, comme Georg Gatsas ou Barbara Signer.
Le bonheur, hier et aujourd’hui
Il semble que durant le 19e siècle, le bonheur fut un thème plus populaire qu’aujourd’hui parmi les artistes. «Je ne le crois pas, soutient Konrad Bitterli. Je pense que les êtres humains n’ont pas beaucoup changé depuis cette époque. Ce thème reste populaire aujourd’hui encore, comme le montrent quelques œuvres d’artistes émergents que nous présentons à St-Gall.»
«Ce qui change, en revanche, ce sont les moyens pour représenter ce bonheur, précise-t-il. Nous sommes passés de la peinture à la photographie ou à la vidéo, mais l’élan est le même. Cependant, il est certain que les toiles du 19e siècle montrant des mères heureuses avec des bébés dans un paysage en fleurs n’avaient rien à voir avec les dures réalités de la vie d’alors.»
Paysages idylliques…
La Suisse est-elle un pays davantage incliné au contact avec la nature et au bonheur idyllique? «Je ne crois pas qu’il y ait quelque chose de spécifiquement suisse, bien que l’image paradisiaque de vaches et de paysages soit utilisée comme une part de notre identité. Aujourd’hui, la réalité, c’est que la majorité des Suisses vivent dans un environnement urbain.»
Un élément central de l’exposition, selon Konrad Bitterli, consiste «à voir derrière» ce que montrent les œuvres. La réalité du dur labeur et des privations qui se cache dans bon nombre d’entre elles, surtout celles qui représentent des familles paysannes du 19e siècle.
«En fait, Over the Rainbow nous raconte une histoire d’évasion, conclut Konrad Bitterli, car, tout comme dans la chanson, nous rêvons tous d’un lieu idéal qui n’existe que dans les berceuses.»
… un héritage germanique et romantique
L’économiste Bruno S. Frey, professeur au Warwick College de Londres, a fait du bonheur le thème central de son travail.
«Le but ultime de l’économie est de rendre les gens heureux, explique-t-il. Son objectif n’est pas la production de biens et de services, mais la satisfaction humaine. Le système financier existe uniquement pour rendre le monde plus efficace. Mais évidemment, cela ne se vérifie pas en ce moment.»
«Je crois que le bonheur est avant tout en relation avec les autres êtres humains, poursuit-il. Le bonheur est produit au travers de nos relations avec nos amis, nos amants ou notre famille. C’est quelque chose qui se voit dans les œuvres exposées à St-Gall.»
Quant à l’apparent goût des Suisses pour la nature et les paysages idylliques, Bruno S. Frey ne croit pas qu’il s’agisse de quelque chose de typiquement helvétique, mais propre à la nature germanique. Il s’agit, selon lui, d’un héritage du romantisme.
«Seuls les idiots peuvent être heureux»
En réfléchissant à la question de la relation entre le bonheur et l’art, on remarque que le bonheur ne semble pas être véritablement un thème dans les cercles intellectuels.
«Il est vrai que les intellectuels ne se sentent pas trop à l’aise avec l’idée du bonheur, déclare Bruno S. Frey. Il ne leur plait pas. Et les artistes, tout particulièrement, semblent faire de grands efforts pour souffrir. Une chose que nous devons, une fois de plus, à l’idée romantique de l’artiste qui souffre.»
«Nous semblons également croire que seuls les gens malheureux sont productifs et efficaces, spécialement dans le monde germanique, poursuit le professeur de l’Université de Zeppelin, en Allemagne. Mais la réalité, c’est que les artistes ont tendance à être plus heureux que la moyenne de l’humanité, étant donné qu’ils font ce qui leur plait vraiment. Personne n’a jamais été obligé à être un artiste.»
«Le général De Gaulle avait dit une fois que seuls les idiots pouvaient être heureux, ce qui est une attitude typiquement française. Dans le monde anglo-saxon, cette idée n’est pas aussi répandue. En fait, les gens heureux ont tendance à être plus créatifs que ceux qui sont malheureux. Bien que, à mon avis, les artistes sont bipolaires, passant d’un extrême à l’autre. Les gens normaux sont moins instables émotionnellement.»
L’exposition du Musée des arts de St-Gall présente des œuvres qui tournent autour de la notion de bonheur et de bien-être.
Les peintures, photographies et installations vidéo traitent de la satisfaction, de la joie et de la vie idyllique au cours des siècles.
Parmi les artistes classiques, on trouve les Suisses Ferdinand Hodler et Robert Zund. Il y a aussi des créateurs contemporains, comme la Sud-Africaine Candice Breitz, l’Israélienne Yael Bartana ou le photographe suisse Georg Gatsas.
L’exposition Over the Rainbow, organisée par Konrad Bitterli et Nadia Veronese, peut être visitée jusqu’au 28 octobre.
(Traduction de l’espagnol: Olivier Pauchard)
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