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Expo.02 se recycle en «Arte’bags»

Christiane Murner, la créatrice de la collection Swiss recycling Arte’bags 03, dans sa boutique-atelier de Carouge. swissinfo.ch

Adepte du recycling culturel, une maroquinière genevoise a réutilisé les bâches sérigraphiées qui entouraient l’arteplage de Neuchâtel.

Elle en a fait des sacs étranges, oniriques et… uniques, puisque taillés dans différentes parties de la toile.

Quand on pénètre dans l’ANTRE-PEAUX, la boutique-atelier de Christiane Murner, le regard bute immédiatement sur une vingtaine de sacs à main de la collection Swiss’recycling Arte’bags 03.

Aux murs, les fameuses toiles aux sérigraphies si belles et parfois dérangeantes des bâches qui enveloppaient l’arteplage de Neuchâtel, dédié au thème «Nature et artifice».

Et l’imagination, activée par ces images de corps tant poétiques que crûment cliniques, se remémore les quelques émois esthétiques qu’a pu provoquer l’exposition nationale.

Derrière son comptoir, la maîtresse des lieux, une brunette vive et souriante, est débordée. Elle discute design avec une cliente qui lui commande un sac original. Qu’elle créera dans son atelier qui s’ouvre derrière le comptoir.

Dans ce qu’elle nomme son laboratoire, elle vend, expose et teste ses créations.

Un métier passionnant mais exigeant

«Je dois tout faire moi-même, confie-t-elle. Vous savez, je cherche désespérément une apprentie. Mais c’est très difficile à trouver car il n’y a pas de réelle formation dans le domaine».

C’est que la maroquinerie est un art délicat et technique. Il faut pouvoir créer des volumes à partir de rien, maîtriser les matières et être minutieux. L’apprentissage est long, et «c’est bien ce qui rebute les jeunes, habitués à tout obtenir dans l’immédiat».

En plus, il lui faudrait quelqu’un qui, comme elle, exerce ce métier par passion. C’est pourquoi elle s’est mise en contact avec l’Ecole des arts décoratifs de Genève.

Une fois l’approche de la mode globale acquise, Christiane Murner pourrait apporter une formation appliquée aux étudiants.

Un parcours truffé d’expérimentations

Voilà vingt ans que cette fraîche quadragénaire s’est installée à son compte. «Au début, j’avais un atelier en sous-sol minuscule au boulevard Carl-Vogt».

Après son apprentissage dans la maroquinerie de luxe chez Gurtner, où elle a appris la rigueur du métier et le travail des crocos et autres lézards, elle a rapidement eu besoin de créer sa propre structure. «Je me suis aussi laissée aller à l’aventure».

Aventure qui se poursuivra par six mois de stage à Paris, afin de compenser son «manque de formation théorique dans l’art». Elle y suivra des cours de dessin aux Beaux-Arts, fréquentera assidûment la bibliothèque du Musée de la mode et s’imprégnera d’expositions.

C’est là qu’elle découvre les artistes et architectes du Bauhaus. Et des peintres comme Kandinsky, Klee, Mondrian et Léger. Des influences toujours présentes dans les formes et les couleurs qu’elle exploite.

Expositions à thème et collaborations

De retour à Carouge, elle ouvre sa première boutique-atelier, «persuadée de ne pas vouloir travailler dans la maroquinerie industrielle».

Et là, avide de confrontations avec d’autres domaines artisanaux ou artistiques, elle va travailler avec des céramistes. Et monter des expositions thématiques sur les couleurs, la symétrie, la sérigraphie sur cuir ou même les crustacés.

«J’aime aller toujours plus loin dans les défis techniques. Et développer une histoire, avec une recherche sur les matériaux».

Mais elle en vient aussi à constater qu’on ne connaît plus grand-chose à la maroquinerie. «Les femmes n’ont plus aucune référence, ni notion de qualité. Elle consomment des produits mal conçus, fabriqués industriellement en Chine ou ailleurs».

Et c’est là qu’après avoir déposé sa marque internationalement, a germé l’idée d’un partenariat avec un atelier marocain. Il exécute sur commande des séries de 30 à 40 objets, dont les sacs de la collection de basiques «esquisse» ou des boîtes gainées qui servent à l’exposition des bijoux dans les vitrines.

Si elle continue à expérimenter de nouvelles matières ou formes à Carouge, elle se rend régulièrement à Casablanca, où elle reste en général une semaine «pour leur montrer les techniques, créer les gabarits, apprendre la coupe».

«Nous évoluons ensemble. C’est une très belle aventure humaine».

Recycling: Expo.02 et Beyeler

Et puis, toujours dans cet esprit d’ouverture et surtout cette prise de conscience sur la «consommation auto-destructive», est venue l’idée de recycler «qualitativement» de la matière culturelle.

Et de la matière, comme celle d’Expo.02, éphémère et, il faut bien l’admettre, controversée. «Je voulais conserver ce qui était positif dans l’expo, c’est-à-dire ce qui est sorti de ce laboratoire d’idées, artistiques, techniques et esthétiques qui tentaient de définir la Suisse».

Elle rachète alors 350 m2 de toile de l’arteplage de Neuchâtel. Dans laquelle elle fait une série de sacs à main limitée à 1000 exemplaires. La collection se décline en 11 modèles, qui toujours affichent une qualité impeccable. Chaque modèle est en outre unique, puisque le motif change.

Mais, on s’en doute, la maroquinière ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Elle a enchaîné avec la collection taillée dans les toiles géantes de l’exposition Frontline (2001, Fondation Beyeler à Bâle).

Ces bâches avaient été réalisées par une vingtaine d’artistes. «J’ai présenté cette collection à Art Basel, et ça part comme des petits pains».

Comme quoi, le créneau de la mémoire artistique à portée de main est porteur.

Un tourbillon de projets transversaux

Et puis, une exposition mettant en évidence les liens qui se sont noués autour d’Expo.02 entre la Suisse et la France est en projet au Centre culturel suisse de Paris.

Deux autres collaborations sont prévues cette année avec la Fondation Beyeler. Et enfin, une exposition de sacs de feutre et broderie réalisés par des femmes Kurdes devrait avoir lieu dans sa boutique-atelier cet automne.

Décidément, Christiane Murner n’en a pas fini d’ouvrir la maroquinerie aux influences croisées. Elle qui craint plus que tout de stagner dans son métier.

swissinfo, Anne Rubin

– Christiane Murner est née en 1962.

– Elle vit et travaille à Carouge (GE).

– Elle a fait son apprentissage de maroquinière chez W. Gurtner (GE).

– Depuis 1983, elle est indépendante.

– En 1987, elle passe six mois de perfectionnement à Paris.

– Depuis 1987, elle crée dans l’atelier-magasin l’ANTRE-PEAUX.

– En 1991, elle reçoit le prix Micheline Brunschwig et est exposée au Musée d’art et d’histoire de Genève.

– De 1991 à 2003, elle participe à de nombreuses expositions personnelles ou collectives.

– En 2001, elle dépose sa marque: chris.murner.

– En 2003, elle est lauréate du prix de l’Artisanat genevois.

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