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Le sexe féminin, de l’intime à l’universel

L'art de Titine K-Leu, entre toile et tatouage. swissinfo.ch

Couleurs. Surréalisme. Mysticisme. Exultation et douleur. Toile et tatouage… Quelques mots pour tenter de dire ce qui imprègne les peintures de Titine K-Leu, à voir ces jours à Lausanne.

Après avoir longuement parcouru la planète, elle vit aujourd’hui dans un paisible village du Jura vaudois, maisons extérieurement sages et verts pâturages. Un décor à priori très éloigné de l’univers de Titine K-Leu, peintre autodidacte, et épouse d’une star du tatouage, Filip Leu.

La relation maritale de l’artiste ne nous concernerait pas vraiment si celle-ci n’avait pas eu une influence essentielle sur son parcours.

Parcours géographique, d’abord. Titine K-Leu a exposé à Paris, Toronto, Los Angeles, Denver ou New-York, mais aussi au Japon ou dans les îles du Pacifique… Pas banal. «C’est vrai, j’ai beaucoup voyagé et j’ai exposé à plein d’endroits. Parce que mon mari voyage beaucoup, j’ai eu des opportunités de rencontrer du monde», répond-elle tranquillement.

Parcours artistique, ensuite. Titine K-Leu a évolué et évolue dans ce monde étrange et sombre – pour le non-initié – qu’est le tatouage. Est tatouée. A tatoué. S’est «engagée» de toutes ses forces à «aider» des femmes à exister dans ce monde d’homme. Pas par féminisme, précise-t-elle, mais parce que «quand j’ai la possibilité de tendre la main, je le fais».

Le «tattoo» déborde en permanence sur sa vie de peintre. Pendant plusieurs années, elle s’est consacrée à un «Hommage aux icônes du tatouage». Une galerie de personnages tatoués célèbres, qui vécurent entre 1850 et 1950. «Des gens très connus dans l’univers du tatouage: princes, rois, mais aussi marins ou femmes de tatoueurs», explique-t-elle. Et pourquoi ça? «Beaucoup de gens ne connaissent pas l’histoire du tattoo. J’en ai retracé une toute petite partie. Car c’est une histoire beaucoup plus ancienne…»

Changement de thématique avec l’exposition que l’on peut découvrir à Lausanne. «J’en avais marre de faire des portraits de gens morts», rigole Titine. Un jour, Joe Boehler, artiste lui-même et animateur de la Fondation ABpi, relance Titine K-Leu. «Il aimait beaucoup mes personnages tatoués, mais il m’a dit: Titine, ouvre-toi, et fais d’autres choses. Fais des femmes!»

Titine K-Leu va donc «faire des femmes». Mais l’influence du tatouage ne va pas disparaître pour autant. Et ce n’est sans doute pas pour rien si Joe Boehler va baptiser cette exposition «Ethnologie de la peau».

«Tout commence par là»

Un grand local blanc, ancien atelier industriel sans doute. Sur les murs, placées souvent en hauteur, les toiles, éclatant de couleurs. Façon Afrique, ou Inde. Entre animisme et mysticisme, en quelque sorte.

Soudain, l’œil s’accroche à un sexe féminin. Puis à un deuxième, à un troisième. D’autres encore, toujours lisses et rasés. Geste érotique? Peut-être. Et peut-être pas. Comme une façon, plutôt, de ‘déshabiller’ le sexe au maximum, de l’amener à sa plus simple expression, au sens graphique comme au sens charnel.

Et puis, ce sentiment un peu étrange que tous ces sexes féminins ne jouent pas spécifiquement de la corde érotique. Et même, que ce n’est pas à moi, mâle, qu’ils s’adressent.

«C’est vrai… Ces toiles s’adressent aux femmes. Aux petites filles, aux femmes, aux femmes plus âgées… aux femmes en général», explique Titine K-Leu. «Je voulais montrer la femme dans tous ses états. Et la femme, ça commence par là. Tout, chez la femme, commence par là, je pense. La vie, la sexualité, nos problèmes hormonaux, tout! Les femmes en parlent peu, mais c’est vrai».

Titine K-Leu dit se peindre elle-même à travers ses toiles. Ainsi de ce corps d’où poussent des branches sur fond de ciel bleu, dit-elle: «Celle-ci parle beaucoup de moi, en tant que jeune femme, du fait de m’ouvrir, de me découvrir, d’avoir vécu des trucs assez durs, de renaître un peu… mais c’est difficile pour moi d’en parler».

De ces «trucs assez durs», l’artiste ne dira rien. D’ailleurs, «tout ce que j’ai à dire, je l’ai peint», affirme-t-elle. Ses fissures intimes resteront donc privées. La meilleure façon peut-être pour que cette peinture du vécu, mélange de sensualité et de dureté, touche à l’universalité.

«Disons qu’à travers la femme, il y a tout: la vie, la création, la nourriture, la nature. L’amour, la haine, la douleur… La femme, c’est la sainte, la pute, la vierge… tout!»

Interpénétrations

Chez Titine K-Leu, le corps parfois se projette dans le paysage qui l’entoure, comme dans la toile citée plus haut, lui imposant son propre récit. Et parfois, c’est le paysage qui empiète sur la peau, comme dans «Lilith aux paysages». Même lorsqu’elle ne peint pas de tatouage, la philosophie du tatouage reste donc là… «Oui, répond-elle. Cela ne me quittera jamais. C’est une partie de ma vie aussi. La bande dessinée, la littérature, le tatouage, l’illustration… être illustrée!»

Parents libraires et éditeurs, la bande dessinée, la littérature, Titine K-Leu y a trempé toute son enfance et son adolescence. Puis le tatouage est devenu l’autre force majeure de sa vie. A-t-elle le sentiment que sa peinture est la résultante, ou la synthèse, de ces deux influences? En tout cas, l’idée lui plaît…

Ces prochains temps, Titine va continuer à peintre «des femmes, et sûrement des enfants. Il y aura aussi des hommes, parce que je les aime quand même», dit-elle en éclatant de rire. «Et puis un projet sur les déesses».

Bref… «On verra ce qui sort, et ou cela me mènera. Je travaille toujours avec mes émotions et je suis une éternelle apprentie de ma peinture», dit-elle en guise de conclusion.

Bernard Léchot, Lausanne, swissinfo.ch

Lausanne. Titine K-Leu est née à Lausanne. Elle est la fille de Françoise et de Rolf Kesselring, collaborateur occasionnel à swissinfo.ch, écrivain et ancien éditeur.

Vivier. Durant sa jeunesse, elle vit entourée de dessinateurs, écrivains et autres artistes: Roland Topor, Jean-Claude Forest, Martial Leiter, Hugo Pratt sont les amis de la famille…

Tattoo. En 1988, Titine K-Leu commence à vivre et voyager avec l’homme de sa vie: Filip Leu, célèbre tatoueur, fils de Felix et Loretta Leu, eux-mêmes tatoueurs, petits-fils de l’artiste Eva Aeppli, première épouse de Jean Tinguely.

Voyage. Ensemble ils parcourent le monde. Ils exposent leurs œuvres dans de nombreux pays d’Europe, des Etats-Unis, d’Asie.

Street Shop. Revenus en Suisse, ils prennent le relais des parents Leu en ouvrant en 2000 «The Leu Family’s Family Iron Street Shop», studio de tatouage, à Lausanne.

Hommage. De 1997 à 2003, Titine K-Leu peint une série de tableaux intitulés «Hommage aux icônes du tatouage», galerie de personnages tatoués célèbres ayant vécu entre 1850 et 1950.

ABpi. L’exposition «Ethnologie de la peau» de Titine K-Leu, dédiée aux femmes et à la nature, est à voir à la galerie de la Fondation ABpi, Rue du Maupas 8bis, à Lausanne, jusqu’au 20 juin.

Cycle. Le maître des lieux, l’artiste Joe Boehler, a invité trois femmes peintres à exposer dans sa galerie. A Titine K-Leu succéderont Daniela Du (10 septembre – 3 octobre), puis Marianne Jonquière (26 novembre – 19 décembre).

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