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Bogota se remet de son premier couvre-feu depuis les années 70

Les "cacerolazos", courants dans d'autres pays d'Amérique latine, étaient inusités en Colombie jusqu'à jeudi, où après les manifestations certains ont duré environ trois heures. KEYSTONE/EPA EFE/MAURICIO DUEÑAS CASTAÑEDA sda-ats

(Keystone-ATS) Bogota a retrouvé son rythme et sa circulation intense samedi. La capitale colombienne a connu une nuit de couvre-feu total, le premier décrété depuis plus de quarante ans, suite aux violences ayant suivi une mobilisation massive contre le président Ivan Duque.

Dans cette ville de sept millions d’habitants, célèbre pour ses gigantesques embouteillages, voitures, camions et motos vrombissaient à nouveau dès l’aube, après une nuit de calme tendu. Durant la nuit, la capitale avait pris des airs de ville fantôme, suite au couvre-feu imposé dans toute la ville dès 21h00 vendredi, puis levé comme prévu à 06H00 du matin.

Des rues étaient encore jonchées des restes de feux allumés par des manifestants, de déchets et du verre brisé des vitres de stations d’autobus endommagées, selon le maire Enrique Peñalosa, par “une minorité de délinquants”.

Tard vendredi, le ministre de la Défense, Carlos Holmes Trujillo, avait annoncé que “les actes de vandalisme” étaient contrôlés et que le couvre-feu était respecté à 90%. Cette ville n’avait pas connu une telle mesure depuis des manifestations en 1977.

Hélicoptères et forces de l’ordre

Près de 13’000 policiers et militaires patrouillaient encore la capitale, survolée toute la nuit par des hélicoptères des forces de l’ordre.

La veille, des centaines de personnes avaient défié l’interdiction de circuler en se rassemblant dans divers quartiers pour des “cacerolazos” – concerts de casseroles – notamment devant le domicile du président Duque. Des manifestants y ont chanté l’hymne national, en tapant sur des marmites, avant de se disperser dans le calme. Entreprises et commerces avaient fermé tôt, certains protégeant leurs façades avec des plaques de bois, voire de métal.

Des universités de la capitale étaient restées cependant ouvertes pour accueillir les étudiants empêchés de rentrer chez eux du fait de l’absence de transports.

“Loi sèche”

Les responsables des pillages et dégradations causées depuis jeudi soir n’ont pas été clairement identifiés. Mais le maire Enrique Peñalosa, qui a également instauré la “loi sèche” – interdiction de vente d’alcool – jusqu’à la mi-journée de samedi, a nié toute relation avec le mouvement social contre la politique de M. Duque.

“Ceci n’est pas la grève, ni une marche démocratique, ni un ‘cacerolazo’. Nous sommes confrontés à une minorité de délinquants qui détruisent la ville”, a argué M. Peñalosa, qui n’avait pas encore donné samedi matin de bilan du couvre-feu.

Les marches de jeudi, majoritairement pacifiques et auxquelles ont participé des centaines de milliers de personnes, avaient été suivies d’affrontements entre civils et policiers anti-émeute, qui ont fait trois morts et près de 300 blessés.

L’expert en sécurité Hugo Acero a évoqué des “faits de vandalisme”. Des personnes “se sont consacrées à piller, attaquer ou voler des marchandises dans certains commerces. Ce ne sont pas des faits de protestation sociale”, a-t-il affirmé. De nouvelles manifestations ont eu lieu vendredi, la plupart sans heurts.

Aux aguets

“Ce matin, c’est calme alors que hier soir, c’était pesant (…) ça faisait peur”, a déclaré à l’AFP Ana Belen Cuellar, une vendeuse ambulante de 35 ans, dont les affaires ont pâti du couvre-feu. Inquiets, des habitants s’étaient armés de gourdins et de couteaux, dénonçant des tentatives de cambriolage par des individus cagoulés ou la tête couverte de capuche.

Le président Duque, dont la popularité est au rouge avec 69% d’opinions défavorables, a convoqué une “conversation nationale” à partir de la semaine prochaine, en réponse à la mobilisation sociale, la plus importante de ces dernières années.

Outre une politique de sécurité focalisée sur le narcotrafic et une recrudescence de la violence dans certaines régions depuis l’accord de paix de 2016 avec l’ex-guérilla des Farc, le mouvement dénonçait des velléités de flexibiliser le marché du travail, d’affaiblir le fonds public des retraites en faveur d’entités privées, et de reculer l’âge de la retraite.

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